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Critique de LaBiblidOnee


Nouveau tour de magie pour Mauvignier, qui fait entendre la voix de la « grande muette ». Elle ne peut parler (malgré ses récents écarts) mais n'en pense pas moins. Or les corps et les esprits trouvent toujours le moyen d'exprimer ce qu'ils ont vu, fait, vécu ou ressenti par les cauchemars, l'agressivité latente, la tristesse, les pensées ressassées… Et si un auteur est capable de nous faire lire dans ces pensées, c'est bien Mauvignier. Il nous livre ici celles Des hommes revenus en miettes de ces grandes vacances qu'on leur a imposées au « club bled ».


C'est lors de l'anniversaire de Solange qu'une toute petite étincelle met le feu aux poudres : au moment où son frère Bernard lui offre son cadeau, les critiques fusent, Bernard s'énerve et dépasse les bornes, devient agressif, commet l'impardonnable envers la seule victime que de vieilles haines et des réflexes passés désignent du fond de ses tripes devenues incontrôlables : l'Arabe. le passé ressurgit : aux vieilles querelles de famille s'ajoutent les réminiscences de la grande Histoire, d'une guerre intriquée dans l'histoire personnelle et intime de chacun.


L'Algérie a ajouté aux non-dits familiaux les récits interdits et impossibles des « événements ». Des horreurs indicibles : napalm, gégène, raids dans les villages, missions ratées, compagnons décimés… Nous avons tous entendu les rescapés se désoler d'avoir dû faire « là-bas » ce que l'on reproche tant aux Allemands d'avoir fait chez nous en 45. Entendu les cauchemars, vu les ombres et les pleurs dans les yeux de ces générations maudites, qui ont subi deux guerres dont l'une en victime, et l'autre en bourreau, au point de ressentir comme personne le mal qu'ils ont été contraints d'infliger. Les regrets pèsent, les actes demeurent, les souvenirs les dévorent mais rien ne doit filtrer, rien n'est raconté. Jusqu'au jour où…


Dans ce roman, l'auteur « délivre » littéralement les pensées de l'un Des hommes revenus abimés de la guerre d'Algérie, témoignage d'un inévitable dérapage programmé. Une fois de plus, l'écriture de Mauvignier m'a happée. Sa capacité à dépecer le moment présent, le décrypter à l'aune des pensées de son narrateur ; Ses phrases tantôt longues, tantôt déstructurées comme des dialogues interrompus par d'autres pensées, d'autres moments. Les mots qui se bousculent puis ne sortent plus, ceux attendus mais jamais dits, ceux trop lourds que l'on étouffe et qui nous le rendent, ayant toute la place pour grossir dans ce silence assourdissant, jusqu'à ne plus pouvoir être contenus et devoir s'exprimer, par tout moyen.


Un bémol : J'aurais aimé connaître les tenants et aboutissants de tous les sujets ouverts par l'altercation. Pour certains d'entre eux, il me restera des silences et des non-dits. Juste retour des choses. Toute l'histoire tient en la justesse de ce que Mauvignier dépeint, la manière dont les personnages apparaissent sous le dessin des mots, des phrases parfois à peine esquissées puis empêchées ou abandonnées. Ce qui n'arrivera pas à cette lecture, très prenante. Merci à Paroles pour la découverte !

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