AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de colka


colka
18 février 2024
"Je veux me réveiller
Dans une ville qui ne dort jamais
Et constater que je suis le roi de la colline"
Franck Sinatra New York New York

Le beau mirage que ce New York faiseur de reines et de rois d'un jour !
C'est une tout autre ville que nous fait découvrir Colum Mc Cann dans son roman : Les saisons de la nuit. L'envers du décor en quelque sorte... Nous partons à la rencontre de ceux qui ont bâti N.Y et qui ont construit, au début du XXe siècle, au péril de leur vie, le tunnel ferroviaire sous l'East River reliant Manhattan à Brooklyn. Migrants de toutes nationalités, ils ont creusé dans le froid glacial de l'hiver, dans la chaleur de fournaise des puits souterrains ce tunnel qui sera le début d'un réseau labyrinthique !
Dans une écriture précise et minutieuse, l'auteur nous donne à voir, à sentir l'habileté de ces hommes, leur fierté face au travail de titan qui est le leur, leur courage et leur solidarité dans les moments de joie et de peine...
Car le tragique fait souvent irruption dans leur quotidien : moments forts que l'auteur évoque avec brio dans une écriture qui s'emballe comme dans cette scène haletante où Mc Cann évoque un terrible accident survenant en plein creusement du tunnel !
Même courage, même détermination chez les bâtisseurs du ciel, ceux qui vont ériger les premiers gratte-ciel... Même talent de l'auteur, qui là encore, brosse des tableaux saisissants, où la maîtrise technique de ces voltigeurs du ciel le dispute à la formidable ivresse qui s'empare d'eux, lorsqu'ils s'élèvent dans le ciel new-yorkais, à la conquête d'un espace aérien encore vierge !
Tunnels et gratte-ciel de New York... le Ciel et l'Enfer !
Tous ces travailleurs anonymes qui ont bâti cette cité mythique paient un lourd tribu à sa construction : addiction à l'alcool et autres substances psychotropes pour oublier la fatigue, le danger et les douleurs d'un corps prématurément vieilli. Ces conduites à risque sont omniprésentes dans le roman et concernent encore plus les "damnés de la Terre", ceux qui vivent dans l'Enfer, le vrai : l'underground new yorkais, ce monde des tunnels construits par des prédécesseurs qui n'avaient pas atteint le niveau de déchéance humaine qui est le leur...
L'évocation de ce monde invisible au grand jour, de cet univers d'immondices, de bouteilles d'alcool, d'aiguilles et de graffiti iconoclastes et vengeurs est proprement terrifiant et hallucinant. Non moins saisissante est l'évocation de ceux qui y vivent : Treefrog, Papa Love, Elijah, Angie, la seule femme, tous ont touché le fond du désespoir et survivent dans ce cloaque où la violence est présente sous toutes ses formes : viols, bagarres, insultes, automutilation, Mc Cann ne nous épargne rien sans jamais tomber dans le voyeurisme car il y a dans la trajectoire de ces êtres humains une violence du destin qui confine au tragique.
Un destin inéluctable que le leur ? C'est en tout cas ce que j'ai ressenti à travers la trajectoire des deux héros principaux : Nathan Walker, venu de sa lointaine Georgie pour bâtir le tunnel sous l'East River et Treefrog, un bâtisseur du ciel tombé dans ce monde souterrain que sont les tunnels new yorkais.
Qu'ont en commun ces deux hommes ? C'est la question qui se pose tout au long du roman et la structure en deux temporalités - le début du 20ème siècle et la fin - maintient le suspense narratif jusqu'à la fin. Elle nous enferme dans un étau qui peu à peu se resserre et nous laisse pressentir le drame final. le caractère inéluctable de la convergence de ces deux trajectoires de vie, mis très subtilement en lumière par la structure narrative ne donne que plus de poids au déterminisme social dont Mc Cann dénonce le côté implacable et destructeur tout au long du roman. Qu'il s'agisse du racisme largement évoqué et des violences policières présentes dans tout le récit, Nathan Walker et Treefrog ont été confrontés plusieurs fois à des événements liés à ces deux thématiques, d'où le caractère tragique de leur vie en dépit des moments de bonheur qu'ils ont connu...
Les saisons de la nuit : un roman fort, puissant avec des héros dont la violence du destin nous renvoie souvent à l'actualité qui est la nôtre, non moins violente sous d'autres formes...
Commenter  J’apprécie          404



Ont apprécié cette critique (40)voir plus




{* *}