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Critique de Emnia


Je pense que c'est la première fois que je termine un ouvrage dont le contenu est parfaitement compréhensible sans avoir la moindre idée de ce qui a pu effectivement arriver tout au long du récit au protagoniste. Car tout l'art de Michael McDowell ici est de donner à voir une histoire du seul point de vue d'un personnage incapable de percevoir les choses pour ce qu'elles sont.


Contrairement à la protagoniste de la Fille qui se noie de Caitlín R. Kiernan, schizophrène elle aussi, Toplin ne semble pas avoir conscience de son état, et ne bénéficie d'aucun recul, ni d'aucun moment de lucidité qu'une médication adaptée pourrait permettre. S'il lui arrive de reconsidérer certaines de ses certitudes, par crainte qu'elles soient nées purement de son imagination, ces hypothèses sont systématiquement rejetées et semblent n'être présentes dans le texte que pour des raisons de clarté narrative.


Le lecteur se retrouve par conséquent piégé dans un entre-deux, contraint d'adhérer à des faits radicalement bizarres et à une logique paranoïaque afin de suivre le récit, mais essayant simultanément d'y déceler des indices – ils sont rares autant qu'incertains – les remettant en cause. McDowell brouille les pistes et rend la distinction entre le monde tel que le personnage doit le vivre et les distorsions qu'il lui fait subir d'abord difficile, puis rapidement impossible. de là, un troisième niveau de lecture s'impose, qui consiste à interpréter ce que les obsessions et les hallucinations de Toplin, les seules choses que l'on ait avec certitude sous les yeux, révèlent à son propos.


Les visions du protagoniste, qui au début teintent le récit de fantastique et d'une certaine poésie, à mesure que son état psychologique se dégrade et que le filtre interposé entre lui et le monde dont il fait l'expérience s'opacifie, le font basculer dans le surréalisme. Sa perception de l'espace apparaît faussée, au point de rendre un lieu aussi familier que son appartement labyrinthique. Sa vision en nuances de gris, ainsi que sa tendance à entendre et voir écrites des langues qui lui sont inconnues semblent matérialiser son repli sur soi autant que son incapacité à appréhender le monde qui l'entoure, ou ne serait-ce qu'à l'atteindre.


Des personnages secondaires et des figurants, aux identités équivoques et fluctuantes, tous plus pervers et monstrueux les uns que les autres, l'on serait bien en peine de déterminer lesquels n'existent que dans l'esprit de Toplin. Comme celui-ci déforme sa réalité, la réécrit au point de la rendre méconnaissable, ces êtres qui gravitent autour de lui, et dans lesquels on devine certaines de ses caractéristiques et obsessions, sont à percevoir avant tout comme des projections ou des avatars, une galerie de miroirs reflétant ses tares et ses déviances.


En dépit de l'incongruité de certaines scènes et des lubies de son protagoniste, le roman, dont l'univers est particulièrement sombre et malsain, ne parvient jamais à pencher du côté de la comédie, même la plus noire, et suscite le malaise bien plus facilement que le rire. Sa lecture est une expérience étouffante qui confine à la claustrophobie, comme d'être enfermé dans une pièce étriquée dont la seule fenêtre est trop petite et trop sale pour que l'on puisse distinguer avec certitude ce qui semble se mouvoir à l'extérieur.


(article complet sur le blog)
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