Des ficelles bien visibles et pourtant, je dois le reconnaître, ça marche…
Ce livre me fait l'effet d'un U… Un début très marquant, un ventre mou qui, sans être dénué de talent, semble sortir tout chaud d'un atelier d'écriture américain avec de bonnes grosses louches de bons sentiments que forcément l'un des protagonistes rejette dans un premier temps, puis une fin lumineuse venant éclairer ce début inoubliable, lui donner de la profondeur. Un fer à cheval. Peut-être d'ailleurs que, dans ces ateliers d'écriture, la structure Fer à cheval existe… « Commencez par une entrée en matière explosive pour harponner votre lecteur, ensuite déballez le processus habituel, à savoir une narration en chapitres alternés entre présent et passé, une situation tragique dans laquelle deux proches vont s'engluer et puis essayer de s'en sortir, et enfin finissez par amener votre lecteur là il veut aller tout en établissant un lien avec le début ». Les ingrédients d‘un roman réussi.
Et c'est vrai, ce roman est réussi mais je ne peux m'empêcher d'en voir les fils, la trame sous-jacente. Comme je si regardais un film en ayant conscience tout au long du visionnage de la présence des caméras, du script, du réalisateur tapis dans l'ombre. Ça m'a gênée de sentir tous les trucs et astuces du livre, d'en reconnaitre les ingrédients bien américains. Il faut dire qu'il s'agit du premier roman de l'américain
Jarred McGinnis, ceci explique peut-être cela, et je dois bien reconnaitre que malgré ce bémol, j'ai ri, souri, et même j'ai versé ma larme. Ça marche, indéniablement.
Le début du livre, dès l'incipit, m'a laissée bouche bée. Nous vivons le terrible accident de voiture de Jarred, voyons les secours lui prodiguer les premiers secours en gestes extrêmement douloureux pour le sortir de là, percevons qu'une femme est morte. Puis assistons aux premiers jours, premiers mois de la nouvelle vie de Jarred en fauteuil roulant. Son père, aussi aimant qu'écorché, est la seule personne qui viendra sans hésiter le chercher à l'hôpital, comme s'il avait attendu cela depuis les dix ans qui les sépare de leur dernière entrevue houleuse suite à laquelle l'adolescent a fugué.
J'ai particulièrement aimé les passages mettant en évidence les sensations d'une personne nouvellement handicapée sur sa chaise roulante, c'est amené sans pathos, avec beaucoup de justesse et même avec humour et ironie par moment. J'ai appris à la fin de ma lecture que l'auteur est lui-même handicapé, pas étonnant qu'il restitue ces sensations avec autant de subtilité, de finesse, de cynisme. Et toujours à la fin du livre je me suis rendue compte que l'auteur avait utilisé son prénom et nom de famille pour son héros. Sa propre histoire romancée ? Sans aucun doute…
« Je suis rentré à la maison et me suis déshabillé dans ma chambre. J'ai retiré chaussures et chaussettes à grand-peine. J'avais les pieds rouges et enflés, un des bénéfices secondaires de la paraplégie. Quand on ne fait pas travailler les muscles des jambes, le sang et autres liquides corporels descendent et stagnent dans les pieds. On peut enfoncer le doigt dans la chair comme dans une boule de pâte levée. le creux persiste pendant quelques secondes avant de se remplir à nouveau. C'est une bonne animation pour les goûters d'enfants ».
L'essentiel du roman raconte cette cohabitation difficile en allers retours incessants entre présent et passé. La mort tragique et brutale de la mère, le déclin du père dans l'alcoolisme, l'adolescent livré à lui-même qui de bêtises en bêtises et d'amitiés en histoires d'amour, en vient à fuir ce père dont il a honte, ces souvenirs d'une vie familiale passée morte à jamais. Avec cette obsession de Jarred, encore présente devenu adulte, d'aller visiter les maisons lorsque celles-ci sont vides de leurs occupants pour humer la vie normale et paisible de familles américaines traditionnelles, d'aller fouiner, de vivre par procuration ce qu'il n'a jamais, ou si peu, vécu.
« Une vie entière de mauvais choix, comme se glisser par effraction chez les autres, est une habitude qu'on a du mal à perdre. Quand j'étais ado, un psychologue m'a expliqué que ce comportement exprimait ma recherche d'un foyer parfait, à cause du mien qui était loin de l'être. En vérité, je suis seulement curieux ».
Le centre romanesque du livre est de facture très classique. Classique cet adolescent rebelle aux multiples failles fuyant un père complètement dévasté par le chagrin. Classique ce père qui va tenter de se ressaisir alors qu'il est déjà trop tard. Il devra attendre dix ans, dix ans que ce fils difficile lui revienne, sans excuse ni explication, dans un fauteuil roulant. Nous nous attendons à ces débuts de cohabitation difficiles, ces premières confrontations, ces premières prises de conscience, cette culpabilité, ces premières complicités et ces souvenirs qui remontent en faisant peu à un peu moins mal. Nous pressentons les réactions de ce fils toujours aussi cynique, et ironique à présent sur sa condition d'handicapé, rejetant le moindre geste d'empathie, de compassion.
Le titre du livre semble vouloir nous forcer à nous interroger : à qui la faute ? Qui est
le lâche de l'histoire ? Un titre surprenant je trouve car à aucun moment nous nous demandons qui est courageux, qui est lâche dans ce déroulé qui est tout simplement la vie avec ce qu'elle comporte de fatalité, de regrets, d'embellies, de honte et de culpabilité…Comme si l'auteur voulait désigner à tout prix un lâche, une seule et unique personne responsable, LE lâche alors qu'il n'y en a pas. A chaque fois que je reprenais le livre avec sa belle couverture et ce titre marqué au fer rouge sur fonds pastel, je me demandais, « ah oui, qui est
le lâche de l'histoire ? », perplexité…Voyons…Est-ce ce père qui a tout laissé tomber lorsque sa femme est morte sombrant dans l'alcool et oubliant totalement son garçon, ou bien ce fils qui fut un adolescent stupide prêt à tout brûler ? Ou encore la société qui n'a pas su aider cet enfant saccagé ? le grand frère qui aurait dû alors héberger Jarred livré à lui-même ? Multiples lâchetés, égoïsmes causés par les chagrins, la peur, l'indifférence. La vie tout simplement.
L'écriture est fluide, prenante, parsemée ça et là de vérités péremptoires mais qui, là aussi, ne sont pas sans résonner en nous, attendues mais entendues :
« Au fil des ans, les histoires qu'on se raconte se modifient. Forcément. Qui voudrait être un faire-valoir ou un personnage secondaire dans le récit de sa propre vie ? On choisit les scènes et les chapitres pour raconter une fiction dont on est le héros. C'est la seule manière de survivre aux entailles, aux blessures et aux cicatrices que la vie nous réserve ? Et pourtant, on garde le couteau à la main ».
Un livre efficace, très américain dans sa structure narrative et dans les ingrédients et ressorts usuels utilisés, qui n'en reste pas moins sensible et touchant. Une fin convenue mais indéniablement belle. Un premier roman prenant à saluer en cette rentrée littéraire qui semble s'inspirer directement de la vie même de l'auteur.