On ne choisit pas son destin, mais on reste au moins libre de s'y soumettre ou pas.
Toutes les causes ne sont pas perdues d'avance. Il faut d'abord tenter quelque chose avant de baisser les bras.
Enfant, je prenais plaisir à explorer cette partie de la maison, toutes lumières allumées, à fouiner dans des malles à l’odeur de moisi, à sortir les vieux maillets de croquet dont personne ne se servait plus depuis des années, ou à chaparder des bouteilles de Coca de grand-père dans des caisses sous les marches.
Ce n’est pas facile de retrouver quelqu’un quand on n’a pas la moindre idée d’où il a pu passer. Et ils avaient d’autres priorités qu’un ado fugueur.
J'ai lu un jour dans un manuel de développement personnel que mener à bien une tâche simple et la rayer de sa liste de choses à faire donne l'assurance nécessaire pour se coller à d'autres plus ardues. Peut-être que terminer le descriptif de la maison me motiverait pour m'atteler à plus difficile : m'organiser à Keokuk une vie digne de ce nom.
J'avais beau vouloir m'y réfugier, le passé ne correspondait plus à rien de réel, et j'y aurais vite étouffé. Impossible de faire machine arrière. Chaque fois que nous laissons de l'air entrer dans nos poumons commence un nouvel instant.
Avant de m’en aller, je fermai les yeux et murmurai une prière aux saints soumis à l’épreuve du feu, les implorant de veiller sur nous tous, les disparus, les retrouvés, les vivants et les morts, et de nous éclairer sur le chemin qui nous ramènerait chez nous, où que ce soit.
La mémoire, comme je l’ai appris à mes dépens, n’est pas fiable ; elle convertit la réalité en une ombre mouvante. Mme Ferris pouvait se tromper au sujet de ce coup de fil comme elle pouvait avoir raison. Peut-être maman était-elle convaincue du bien-fondé de ce qu’elle m’avait dit. Peut-être que dans son esprit passait en boucle sa propre version de ce terrible après-midi comme la mienne se jouait dans ma tête. Peut-être la croyait-elle conforme à la réalité. Même si ce n’était pas le cas.
Chaque jour, des enfants disparaissaient, des familles entières se faisaient assassiner, et des femmes échappaient à leurs ravisseurs après des années d’indescriptibles tourments, emprisonnées dans une cave. Le décès des jumelles Arrowood ne retiendrait pas longtemps l’attention, du moins en dehors de Keokuk.
Telle une flamme qui se propage le long d’une traînée d’essence, la lumière se fit dans mon esprit. Ce rêve où les jumelles étaient encore à la maison, ce rêve qui m’avait paru si réel que j’y repensais encore pour en tirer un profond soulagement – même de courte durée… Ce n’en était pas un mais un souvenir.Je me redressai. Ma mère me lâcha les mains. Son regard errait sur l’œuvre d’un peintre du dimanche, au mur ; un berger auprès d’un agneau, aussi mal proportionnés l’un que l’autre, sans même parler de la perspective aberrante.