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Critique de DianaAuzou


Cages, roman graphique de Dave McKean, je suis tombée dessus dans une librairie, l'ai feuilleté et ne m'en suis plus décollée jusqu'au moment où le libraire me dit d'une voix on ne peut plus polie : C'est l'heure de la fermeture, merci.
Je l'ai payé et suis sortie.
Pourquoi tellement happée ? Pour 1001 raisons que je vais partager avec vous :
Le titre, la couverture, la magie des lignes et des couleurs, le tissage des factures, savant et harmonieux, et ô combien surprenant en même temps: dessin, peinture, photo, collage, art numérique et le passage d'une cage, non d'une case à une autre qui contredit la cage tout en lui laissant l'isolement, la solitude, l'interrogation solitaire des grands comme des petits, de dieu, quel qu'il soit, et du chat, ça va de soi. Une atmosphère !
Une allégorie sur les mystères de la vie, où des vies se rencontrent, s'enlacent, se séparent, le mystère de la création, toute création, tout ce qui prend vie, sur une toile, dans le ventre, dans le jardin, dans un nid, dans les nuages, sa conception, sa gestation, son accouchement, son cheminement, sa fin. Mais il n'y a pas de fin.
Et l'histoire ? Il n'y a pas d'histoire non plus, ou alors il y en a plusieurs imbriquées, sans commencement, sans fin. Un artiste arrive dans une ville et y rencontre des gens étranges, et il y a un chat noir qui, telle une caméra en travelling latéral , rend visite à tous. Un bâtiment à plusieurs appartements, à Londres. Ça a l'air simple et c'est tout son contraire ! Fenêtres sur cour, tout voir, ne rien voir, imaginer avec et sans danger.
Le mystère et la complexité vont ensemble à plusieurs niveaux du dessin et du sens de la compréhension. Un voyage sans destination, une musique sans partition, une curiosité sans objet, un plaisir tout entier.
La composition est magistrale, les dessins ont la force, le rêve, l'expression et l'épure et les photos y trouvent leur place comme si elles avaient poussé naturellement, le tout crée un style évocateur, une vision intrinsèque, une atmosphère à sentir et pas à définir, une pièce musicale bien plus qu'une histoire, un forage en soi, un regard sur l'ensemble et un autre sur le détail, le texte et le dessin se répondent, se complètent, sont complices. Même que souvent la ligne, magistrale danse des lignes et des ombres, dit chut au texte qui s'y plie de bon gré.
Et les dessins m'entraînent, me transportent d'une cage/case à une autre, d'une énigme à une autre, des histoires en abîme, une sorte d'oignon qui ajoute à chaque fois une feuille à sa collection et toutes se font écho, un arrangement orchestral où les cuivres répondent aux cordes, les basses aux aiguës dans un ensemble sans fausses notes, et dont l'harmonie ne s'offre pas facilement, faut entrer dedans.
Une pointe surréaliste, le texte copine avec l'humour simple et naïf, festoie avec les mythes, visite Kafka et Beckett, passe un moment dans l'atelier de Schiele, s'effraie mais ne fuit pas devant certaines grandes gueules révoltées, violentes et intolérantes, le sens a une très longue portée.
Réalisme magique et métaphysique, ça pourrait sembler un peu trop, ce ne l'est pas, car le dosage est finement travaillé et ajusté pour que l'harmonie s'y retrouve sans corset et mon plaisir aussi, immense ; les ombres ne font pas peur, les cages non plus, même s'il s'agit de sortir des petites pour entrer dans de plus grandes et très noires.
Charlie Parker, John Coltrane et Miles Davis y trouveraient leur musique, le jazz "wild and free".
Livre dense, riche, toile somptueuse de 1000 petits détails, aucun superflu, de larges coups de brosse enveloppant nos craintes, nos joies, nos peines et nos malheurs, dans une spirale qui tourne à l'infini, revient sur elle-même de temps en temps pour s'élancer après au-dessus des toits, vers les nuages et leur sourire sans réponse. Un voyeurisme, comme voyage intérieur, au delà des masques qui cachent à peine, au delà d'une simple curiosité, dans un effort de compréhension, dans une envie de dialogue, à la recherche d'une relation, ou d'un lien avec l'autre, tâche ardue, avec peu d'adhérents, mais la récompense est sans prix quand l'âme trouve sa nourriture et quand le masque tombe.
Un livre sur le créateur et sa création et si sa création est l'homme eh bien ce n'est pas toujours une réussite, plutôt un gâchis, c'est ainsi, et les nuages continuent à filer et l'homme n'en est même pas conscient.
La création possède, à son insu ?, une étonnante et souple discipline face à l'incertitude et elle en fait une amie, contrairement à la discipline de fer de tous ceux qui ne croient pas que l'incertitude existe.
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