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Critique de Catilina38


La couverture de cet album et le pitch l'ont envoyé directement sur ma page des albums les plus attendus... Elle va également illico dans mon top annuel 2019 catégorie Couverture tant cette image et le design du titre marquent et donnent terriblement envie de lire l'album! Bravo global pour cette composition à la fois esthétique et efficace... avec le risque que l'envie donnée ne soit pas totalement récompensée (j'y reviens plus bas). Hormis cela rien de particulier niveau éditorial.

La Guerre a duré quatre ans. Après un demi-million de morts et une politique de conquête sauvage de l'Union, le Sud est ravagé. Après cet enfer nombre de femmes se retrouvent seules dans ce qu'il reste de leurs grandes propriétés. La Loi n'existe plus et permet à des bandes de d'anciens soldats de mener des raids à la sauvagerie inouïe. Rescapées de ces massacres, Dorothy et la jeune Alice vont tenter de se reconstruire entre un monde mort et un imaginaire qui peut leur permettre une certaine résilience. Bientôt elles rencontrent des hommes. Abîmes, fuyant, semblant rechercher la même chose qu'elles. Mais peut-on leur faire confiance?

Damien Marie est une véritable découverte pour moi, n'ayant rien lu de lui et découvrant sur cet album un véritable talent d'écriture comme de découpage. Cette histoire n'était en effet pas simple à développer et très piégeuse. Les histoires de survivants de la guerre, les horreurs de la Guerre de Sécession, ont été beaucoup traités, de même que les variations plus ou moins pertinentes et réussies sur les classiques de la littérature imaginaire. Ici Dorothy et Alice font bien évidemment référence aux pays des Merveilles et d'Oz. L'intelligence de l'auteur est d'utiliser subtilement les références sans tomber dans des liens forcés. Car son histoire est originale et n'a pas vocation à reprendre celles de Lewis Carol et de Lyman Frank Baum. Elle sert de vecteur pour comprendre le traumatisme de la petite fille et son refuge dans un monde imaginaire apaisé. Par moments Marie pose un chat (que l'on suppose de Cheshire), un chien ou un Chapelier... qui restent des habillages, des coloration pour ce qui est le récit dramatique d'une fille violée après le massacre de sa famille. L'Enfer du titre est cette Amérique des Etats du Sud dont les yankees cherchent à se venger en déchaînant les atrocités partout. Comme s'il ne devait rien rester de cette culture certes esclavagiste mais réelle.

"L'enfer s'est construit jour après jour, livrant le Sud à la cendre..."

La qualité première de cet album est donc ce réalisme qui ne cherche pas à atténuer la dureté des évènements mais sait subtilement suggérer l'indicible, que ce soit graphiquement, par un découpage inventif et élégant (comme cette flaque en première page qui crée un miroir entre deux mondes) ou par le texte très agréable. Sous la forme d'une pseudo-chasse à l'or de soldats rebs blessés et démobilisés qui rencontreront les deux filles, les auteurs nous montrent des gueules cassées, des humains ayant vécu les uns le front et les mutilations, les autres la barbarie de l'arrière, qui ne souhaitent qu'à trouver la paix. le chêne de l'histoire est Dorothy, que Fabrice Meddour prend plaisir à dessiner et dont l'inspiration a créé cette magnifique couverture. Plus âgée que la fillette, elle est la seule qui semble parvenir à gérer son trauma et réagit dans ce monde ravagé en prenant son destin en main. La galerie de personnages est intéressante, étonnante lorsque l'on s'attend à voir les hommes se défendre de l'agression d'un chefaillon bleu ou lors de la rencontre avec Dorothy. Car si l'aspect de cette équipée reprend les codes du western avec une définition graphique assez simple, ce qui intéresse Marie et Meddour c'est comment on parvient à s'échapper sans tomber à son tour dans la sauvagerie, sans se méfier de tout le monde.

"La reine et le chapelier ont trahis les leurs pour rejoindre le sorcier"

Pour représenter ce monde d'après, Fabrice Meddour propose des tableaux très élégants, en couleur directe avec des choix monochromes variés selon les ambiances et irruption de couleurs vives par moments. Cela permet d'illustrer un monde terne, où la vie semble s'être échappée, comme un voile dressé par ces survivants sur une réalité trop dure. J'avais découvert cet auteur à la même époque que les premiers albums de Luc Brunschwig, sur le temps des cendres, où j'avais beaucoup aimé son style. Je suis surpris de voir que les faiblesses techniques de l'époque sont toujours présentes, notamment sur les visages et anatomies en situation d'action. Comme chez Perger ou Nguyen cela s'explique en partie du fait de la technique utilisée (qui exclue pratiquement les encrages) qui rend compliquée une grande précision sur les petites cases. Car Meddour sait pourtant dessiner et propose des planches superbes, sensibles et magnifiquement colorisées. Il n'est pas le plus techniques des dessinateurs BD mais propose un design agréable et qui dégage une certaine élégance. Autre détail dommage: les onomatopées sont étonnamment imprimées informatiquement en contradiction avec l'aspect très artisanal de l'album. Dommage.

"Vos cicatrices vous vont bien Hunk..."

Sur le premier tome de ce diptyque au sujet très intéressant, sensible et particulièrement bien écrit, les auteurs nous proposent une vision originale de l'après guerre, une histoire de survivants à la fois dure et sensible, un bel objet où l'on ressent le plaisir et l'investissement des auteurs. Je le conseille.
Lien : https://etagereimaginaire.wo..
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