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Citations sur Vers Calais, en temps ordinaire (18)

Nous sommes tous pécheurs, dis-je. Votre notion de la pestilence comme châtiment divin ne prête guère à controverse. Mon impression, c’est qu’à cette occasion, Dieu décida d’accroître la quantité de Noé appelés à survivre pour repeupler le monde. Ce qui n’est pas sans conséquence. Il divisa ainsi, à tout jamais, l’humanité en deux espèces : les coupables et les fiers. Les premiers seront tourmentés par l’idée que eux, les survivants, sont moins méritants que ceux qui périrent. “Mes enfants étaient innocents”, diront les parents qui auront perdu des fils et des filles. “Ils ont été punis pour mes péchés. J’aurais dû mourir à leur place.” Les seconds interpréteront leur survie comme la confirmation qu’ils sont bien les favoris de Dieu. Les doutes qu’ils auront pu avoir sur leur propre conduite, quels qu’ils soient, s’envoleront ; tous leurs actes seront validés. La vertu se définira désormais comme leur propre satisfaction. Être, c’est être bon.
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Certaines gens parvenaient pourtant à diriger leurs rêves comme berger son troupeau, à les garder le jour aussi aisément que la nuit et à en tirer des richesses, comme un berger la laine de ses moutons. Ces gens-là, a dit le prêtre, on les nommait des écrivains. Ils étaient proches du Malin.
P 60
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Tous appréciaient Will, mais on était contents de le voir rabaissé. Nous ne voulions point qu'il ait son acte. La plupart d'entre nous qui étions libres n'avaient nul acte pour le dire : s'il acquérait le sien, cela nous rendrait-il moins libres que lui ? Et les serfs, qu'en serait-il ? Si Will gagnait son acte, n'estimerait-il pas tous les vilains comme des gueux sans valeur, par faute d'oser en demander un pour eux-mêmes ?
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Je trouvai les archers à l'hospice des pèlerins, où ils avaient établi leurs quartiers. Avec quelles créatures terrifiantes me propose-t-on de pérégriner ! Leur dux, Hayne Attenoke, est un géant silencieux, inflexible, avec un gigantesque crucifix ciselé suspendu à son cou au bout d'une chaîne d'argent, et ses camarades sont des percussores, des brutes, d'ignobles assassins.
P 108
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Rien n'exprime davantage la vitalité humaine que le pouvoir de l esprit d'errer à l'heure où il se retrouve confronté à la réalité la plus puissamment susceptible d'attirer son attention, sa propre extinction. 431
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La mort, comme ils l’appelaient, était arrivée à Heytesbury cinq jours auparavant, et elle avait déjà fauché quarante paroissiens, hommes, femmes et enfants, un tiers du bourg. Nul ne se rendait plus chez ses voisins, par craindre de se contagionner. Les gens suspendaient des linges à leurs fenêtres, un pour qu’on envoie le prêtre, deux pour qu’on leur laisse de quoi boire et manger, trois pour qu’on vienne emporter un corps. Le prêtre et le sonneur de clochette étaient allés et venus si souvent entre l’église et les domiciles des malades que nul ne leur prêtait plus attention. L’auberge était fermée, personne ne venait du dehors acheter les tissus qu’ils fabriquaient, les cultures étaient mûres mais nul ne voulait moissonner, et la moitié des bêtes étaient sans maître désormais.
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L’infirmier leur a montré comment bannir la pestilence. Les corps sanglants chauds et humides avaient le plus à craindre, car les trous par où passait leur sueur étaient grandement ouverts, offrant aux gouttelettes morbides de la peste un passage vers l’intérieur du corps. Toutefois, même les plus froids et les plus secs d’entre eux couraient grand péril, s’ils n’empruntaient pas le chemin qu’il fallait. Ils ne devraient point besogner trop dur, de crainte que leurs corps s’échauffent et que leurs trous à sueur viennent à s’ouvrir en grand. Pas plus qu’ils ne devraient s’adonner à la luxure charnelle avec des femmes, ni se baigner dans une eau chaude, ni non plus rester plus d’un jour sans purger leurs entrailles. Ils devraient se passer de miel, d’ail, d’oignons, de poireaux et d’épices fortes ; manger des concombres, du fenouil, de la buglosse, des épinards et des fruits aigres, boire de l’eau coupée de verjus ou de vinaigre plutôt que du vin, et assaisonner leurs aliments avec un fort vinaigre. Il fallait fuir les tas de crottes ou d’immondices, les latrines et tous les lieux putrides et puants de cette espèce, et il serait bon que chacun emporte partout avec lui des fleurs odorantes, pour s’en obstruer les narines.
« Quand la peste approche, même au cœur de l’été, le ciel s’assombrit en plein jour mais il n’y a d’abord point de pluie, rien que le tonnerre vers le sud. De nuit, des traits de foudre, ou des météores dans le ciel. Si un vent fort se lève du sud, où que vous soyez, trouvez refuge et assurez-vous de bien fermer huis et fenêtres côté sud. »
Si la pestilence venait à les prendre, a dit l’infirmier, ils ne sentiraient point l’air vicié et humide pénétrer dedans eux par leurs narines, leurs bouches et leurs trous à sueur. L’air morbide s’infiltrait par le sang jusqu’au cerveau, au cœur et au foie, chacun de ces organes se démenant alors pour chasser le mal. Ceux qui se trouvaient pris éprouvaient d’abord des frissons, une roideur et des picotements de sang, et leur tête était douloureuse. Il arrivait parfois qu’ils toussent et tombent de sommeil. Des bubons indurés d’une grosseur allant du pois à l’œuf s’éveillaient sous la peau, dans l’entrecuisse si la souillure s’amoncelait dans le foie, sous les aisselles si c’était dans le cœur, et dans le cou ou sous la langue si le cerveau était frappé. Chez certains, des marques ou des points noirs apparaissaient sur la peau. Dans tous ces cas, la mort advenait sous trois jours.
Chez d’autres, le mal empruntait un plus court chemin. Il s’attachait aux poumons, qui n’étaient plus capables, alors, de refroidir le cœur, et pour préserver celui-ci, le cerveau aspirait en lui la souillure, mais le cerveau n’était pas de taille à lutter, et le mal s’épandait brusquement dehors par les oreilles, dans un rugissement qui vous assourdissait, ou, ce qui était pire, par les yeux. Car alors, le malheureux pécheur périssait le jour même ; mais le temps qu’il vivait encore, il lui suffisait de mirer un homme et la pestilence transitait de ses yeux aux yeux de qui le voyait, et de là dans son cœur, son cerveau ou son foie.
« Par conséquent, a dit l’infirmier, la première chose absolument requise quand la peste prend quelqu’un, c’est de lui nouer un linge autour des yeux, afin que le mal ne puisse sortir et contagionner ceux qui l’assistent, ou le prêtre chargé de purifier son âme avant qu’elle se libère. Des questions ? »
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La guerre, c'est tous les combats ensemble, et tout ce qui advient dans le temps qui s'écoule entre deux combats, c'est-à-dire le plus gros de la vie de soudard, a dit Douceur. L'homme qui se languit de la guerre fait un piètre soudard.
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Il est fascinant de constater combien nos spéculations sur la destruction de l’humanité se trouvent métamorphosées quand le spécimen le plus familier à être détruit est soi-même. La mort est universelle, et pourtant elle arrive à chaque individu, même en ces temps d’atroce mortalité, comme une espèce de miracle. Comment tout ce qu’il y a dans cet esprit et cette mémoire pourrait-il cesser ? Au lieu d’imaginer un univers sans humains, j’imagine un univers sans moi, et il pourrait aussi bien être silence et vide si je ne suis plus présent. Périssons tous simultanément, ou pas du tout ! En lieu et place d’une fervente préparation spirituelle au jugement divin et à l’éternité, s’impose une terreur exactement proportionnelle à ma présence corporelle – i.e., suffisamment petite pour mettre en évidence la mienne insignifiance dans le dessein universel, et suffisamment vaste pour m’anéantir.
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Le prêtre s’est penché en avant pour tousser. Un petit crachat sombre a coulé de sa bouche et il s’est essuyé les lèvres du dos de la main, avant de reprendre. « Ed Sutton et les autres fouleurs, quand ils ont entendu que la mort était venue pour de bon, ils ont su qu’ils n’avaient plus longtemps à boire. Tous les soirs, ils sont restés debout jusqu’à ce que la bière qu’ils engloutissaient s’arrête à peine dans leurs tripes avant de se changer en pisse. Il y a deux jours, nous sommes allés chercher l’un d’eux dans sa maison, Gibby, mort comme un clou de porte. Je lui ai administré l’onction, on l’a couvert d’un drap et enterré. Il a été le premier à rejoindre la fosse. On avait à peine fait dix pas qu’on l’a entendu crier, disant qu’il était soit en enfer, soit à Heytesbury, et que s’il se trouvait à Heytesbury, ce bourg comptait un prêtre de trop. En le voyant debout dans la fosse, sa tête dépassant du linceul, en train de nous maudire, un grand rire nous est venu, Buisse et moi. On n’a pas su le contenir. Gibby avait tant bu que son épouse le pensait mort. »
Il a secoué la tête et s’est essuyé les mains sur son aube. « Figurez-vous qu’hier il est mort de nouveau, pour de bon cette fois, et ce n’était pas aussi gai. »
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