On mésestime le champ infini des possibles, on occulte trop souvent la masse de vies potentielles auxquelles on échappe ou qu'on souhaiterait avoir connues. Rien ne nous prédestine jamais au chemin que finalement nous empruntons. Il aurait pu, il peut, il pourra toujours en être autrement.
La mémoire est une jument folle que rien ne peut dompter.
"Mais là encore je ne peux aller plus loin. La farce semble trop grosse. Cette révolution intérieure, cette sagesse de cinéma, l’enchaînement grossier des circonstances."
L'empathie apaise, mais nourrit sans le savoir les craintes les plus enfouies.
Que les mots, comme des voleurs qui chamboulent tout dans une maison, bouleversent l'ordre bien agencé de ma mémoire pour ne laisser que de pauvres images, d'imparfaites esquisses dont on se demande à quoi elles peuvent bien servir.
"Dès la confirmation du diagnostic, quelque chose dans ma mémoire se fractionne."
En vérité je ne me réjouis que d'une chose, guérir pour retrouver l'anonymat, disparaître dans la masse commune des bien portants - qu'on ait le droit de me détester ou qu'on m'aime enfin pour ce que je suis et non pour ce qui m'atteint.
Dans le vrai monde les gens ne changent pas, ou si peu.
Détruire le souvenir, priver ma mémoire de la lente et patiente construction qu'elle a, au fil du temps, imposée. Pourquoi au juste? Pour donner les faits, rien que les faits? Approcher la vérité telle qu'elle fut, et non pas telle que je m'en souviens? Ça n'a pas de sens. Je m'en moque, des faits.
(...) revenir sur ce passé qui n'est même pas si lointain, qui est un passé d'adulte, mais que dix années ont suffi à élaguer, à tordre, à réduire en minuscules lueurs qui miroitent dans les ténèbres de l'oubli.