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Critique de SZRAMOWO


« Un type lit Oscar Wilde en hochant la tête avec un sourire énigmatique, une femme fait un sudoku, une pinte de bière noire devant elle. Elias s'installe au comptoir. À l'autre extrémité du zinc, il remarque un type seul, rachitique et moustachu, qui aurait tout l'air d'un ermite ayant fait voeu de silence s'il ne tapotait pas sur un smartphone.
— Qu'est-ce que je vous sers ? »
Il ne faut pas se fier aux apparences. Malgré des phrases comme celle-ci, le roman de Sébastien Meier est noir. Noir comme les courants souterrains qui traversent la société bohémienne en pleine mutation.
Riche idée que celle de l'auteur, créer un contexte « exotique » pour traiter de questions qui agitent notre propre société des soubresauts que nous lui connaissons.
Tout y est. Dégagisme. Populisme. Corruption. Mondialisation. Migrants. Défense de la tradition. Refus de l'autre.
Le pays est une monarchie parlementaire, la reine Patricia veille au bonheur de ses sujets. Son expérience du passé, ses luttes glorieuses contre les envahisseurs, font de la Bohême un pays mythique aux relations sociales apaisées, fier de sa tolérance et de son ouverture. « Une loi votée deux ans plus tôt était entrée en vigueur : l'État fédéral de Bohème avait introduit le revenu de base inconditionnel. » Détail qui mérite le détour, l'emblème du pays est le gypaète barbu.
En Europe, le pays passe pour le vilain petit canard et « — La presse européenne s'en donne à coeur joie. Le Figaro : « Utopia rattrapée par la réalité. » le Times, on n'en parle même pas: « The End of the Awaked Dream ». Quant au Corriere della Sera, il se venge d'années de frustrations dans un long sujet qui présente la Bohème comme une dictature communiste à la solde d'une reine-tyranne – la contradiction ne les choque pas. Bref, la montagne de conneries habituelle. »

Mais voilà, la nature humaine étant ce qu'elle est, l'appât du gain et du pouvoir la domine. Monstlé (une multinationale, suivez mon regard) s'implante en Bohême « pour mettre la main sur l'agriculture bohémienne. », grâce à l'appui de politiques obtenu par des moyens pas vraiment clean.
Elias Neumann le journaliste d'investigation du site No Pasaran ! qui « ressemble à un épouvantail déguisé en Patti Smith », débusque le lièvre. Et c'est le scandale.
Ludivine Berger universitaire de renom à Volia, la capitale, et son ami Javier Martinez dénoncent les agissements souterrains du FAB, Front alternatif Bohémien, « mené par le virulent Pierre-Yves Broudis dont le discours sécuritaire musclé est inédit en Bohème »
« Depuis un an, elle avait resserré sur l'évolution et le financement des mouvements pronazis dans la Bohème de l'après-guerre. Ludivine essayait de prouver que le fascisme n'avait pas disparu et était devenu, en quelque sorte, un fleuve souterrain, selon le concept de survivance développé par Aby Warburg autour de l'histoire de l'art. »
Elle s'oppose à son collègue Emmanuel Labarriere pour qui « — le fascisme (…) est l'expression d'une nature populaire, humaine, c'est une réaction normale et primaire qui vient d'en bas, de la masse. »
A l'opposé de l'échiquier politique « Marie-Claire Renaud, présidente du PIB, le Parti indigné bohémien. Quelles sont les propositions de son parti dans un contexte si tendu ? Faut-il ouvrir les frontières aux investissements étrangers, maintenir le protectionnisme, le revenu de base est-il toujours viable ? »
Pierre-Yves Broudis rétorque « L'assistanat à tout-va a transformé la Bohème en pays de profiteurs. »
« le monde globalisé avance, la Bohème stagne. L'unique solution : retrouver un pouvoir fort et appliquer des réformes drastiques. » Ambiance.
L'action se déroule souvent sur la butte Valence « (…) un repaire de hippies, de drag queens et kings et de punks léthargiques, les docks concentraient tout ce que Volia comptait de lascars férus de hard rock. » plus précisément au « Rafiot. L'épicentre du séisme politique qui bouscule la paisible Bohème est situé au 1, rue Léopold-Ier, soit en plein centre de la butte Valence. C'est une usine réaffectée du XXe de six étages… » On y écoute du Bowie à longueur de journée, Suffragettes notamment…
C'est dans ce contexte que vont s'affronter les personnages lors de l'enquête policière ouverte après la découverte des cadavres de Ludivine Berger et de Henri Martinez.

Eugène Young, capitaine de la PJ de Malatesta, traine avec lui la casserole d'une enquête ratée. Mais aussi sa relation complexe avec sa mère Alice et sa collègue, « Flic partenaire il a espéré avoir un jour l'occasion de présenter Theresa Mayor à sa mère, passionnée d'opéra- He mirat aquesta terra, de Raimon-. Sa mère Alice 78 ans, picole. La Monique dit toujours qu'Alice « a une descente qu'on voudrait pas monter à vélo ».

Élodie Fasel, « capitaine de la brigade criminelle de Neustadt, après dix années passées aux Stups de Volia » se démêlant avec ses problèmes de couple. Son mari Dimitri, après un accident à quitté la police et le vit mal.

Comme toujours dans les affaires policières, il faut suivre la femme ou l'argent
« Henri Genet. Cherche-le. C'est un banquier et c'est toujours l'argent qu'il faut suivre. Je ne peux pas t'en dire davantage. » conseille-t-on à Eugène Young

Ce roman est une belle découverte, servi par une écriture sans esbrouffe. Les personnages sont crédibles et taillés sur mesure. le contexte économique social et politique est réaliste et très proche de ce que nous connaissons en Europe. L'enquête est menée tambour battant avec une utilisation ingénieuse des classiques du genre : concurrence entre services de police, lutte entre la procureure Gabrielle Molina et la police, inspecteurs tiraillés entre leur travail et leur vie privée, journalistes à l'affut, hommes politiques plus soucieux de leur carrière que de l'intérêt général, tractations souterraines pour le pouvoir, affaires périphériques surgissant au cours de l'enquête amenant le lecteur sur des fausses pistes.

Mais la vie continue :
« le temps de sa lecture, le café a repris son bruissement naturel. À la table des joueurs de dés, on cause météo et récoltes. Les autres discussions ne sont guère plus intéressantes : le chien de la Denise, le prix de l'électricité, l'entretien du parc éolien, etc. Il patiente, espérant que l'alcool fasse émerger des sujets plus sensibles. Deux heures plus tard, le lecteur De Wilde en est toujours à la même page – mais pas au même verre. »
Comme dirait Giuseppe Tomasi di Lampedusa
« Il faut que tout change pour que rien ne change »

A lire. Aucun spoil dans cette chronique. A la fin du roman, vous serez scotchés comme je l'ai été.
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