AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Erik35


Publié en 1888, trois ans avant sa mort, et après douze années de silence, John Marr et autres marins est l'avant-dernier recueil de Herman Melville, publié à l'époque à vingt-cinq exemplaires chez un tout petit éditeur. Si le public français peut sembler surpris de voir le célèbre auteur de Moby Dick s'adonner à la poésie, c'est essentiellement pour la seule raison que cette partie importante - essentielle - de son oeuvre n'a jamais été mise en avant dans notre pays. En effet, sur une période d'une douzaine d'années, et jusqu'à son ultime chef d'oeuvre Billy Budd, marin,- qui ne sera retrouvé qu'après sa mort en 1891 et édité une trentaine d'années plus tard, seulement !-, Melville n'écrira plus que de la poésie, parmi laquelle, donc, ce magnifique John Marr.

Inédit jusqu'à ce jour dans notre langue et dans son intégralité, ce recueil mélange deux récits où prose et poésie se répondent, quelques très longs poèmes (parmi les plus longs qu'il ait écrits), et un ensemble de courts poèmes dont il avait le secret.

Tous tournent, comme le suggère le titre, autour de la mer et constituent, en quelque sorte, le chaînon manquant entre Moby Dick et Billy Budd. Ils se nourrissent de la propre expérience de Melville et font remonter des souvenirs personnels dans des textes aux accents vibrants d'humanité et de déréliction.

Car c'est cette fraternité humaine, dont il porte la nostalgie, qu'exalte Melville tout au long de ces textes aux consonances souvent étonnantes pour nous aujourd'hui, mais faisant montre d'une puissance d'évocation inébranlable et sûre, où l'on entend ces hommes s'exprimant parfois dans un américain rude, salin, sans concession - celui des matelots et officiers, celui des marins de la marine de guerre étasunienne de la guerre de sécession, celui des pêcheurs au large, enfin -, où l'on comprend la dureté de la vie face à la nature océane, où l'on sait que le combat est sans merci et peut s'achever par l'impitoyable mort, la perte du navire, corps et bien, la destruction pure et simple et pour ainsi dire, sans reste ni témoin.

Bien entendu, par opposition l'humanité dans ce qu'elle peut avoir de plus noble, de plus fier, mais aussi de plus inconséquent et de plus orgueilleux, il y a la nature inhumaine de la mer, l'implacable Léviathan, l'immensité monstrueuse de l'élément liquide. Mais, à l'instar de cet iceberg destructeur du texte du même nom, cette nature est sans haine, sans pathos, sans volonté véritable d'accomplir ce qu'elle provoque. C'est là toute son ambiguïté et, partant, toute sa beauté, la trace de la fascination qu'elle provoque, mais en risque majeur de mort et de souffrances.

Là se trouve sans nul doute la redoutable et inégalable force de l'oeuvre d'Herman Melville, son incroyable profondeur aussi qui ne le partage en rien avec celle des abysses qu'il connaissait tant et si bien, et que l'on retrouve avec un plaisir vrai dans ce petit recueil indispensable des petites éditions rennaises "La Part Commune", dans une excellente traduction de M. Thierry Gillyboeuf.
Commenter  J’apprécie          210



Ont apprécié cette critique (20)voir plus




{* *}