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Critique de 5Arabella


Les textes de la littérature antique ne nous sont parvenus qu'en petite partie, le cas de Ménandre illustre tout particulièrement ce fait. Il aurait écrit plus de 100 pièces, 8 auraient triomphé au concours de tragédie à Athènes. Il a été classé par Aristophane de Byzance à la deuxième place dans la bibliothèque d'Alexandrie, juste après Homère. Jules César considérait que Terence (le plus grand auteur de comédies latines) valait moitié de Ménandre. Il a été donc imité plus qu'aucun autre par les auteurs plus tardifs, surtout latins. Ce qui a permis d'avoir une idée du théâtre qu'il pouvait avoir écrit. Car toutes ses pièces ont disparues, sauf quelques extraits il ne restait pour ainsi dire rien de cet auteur. le vingtième siècle a permis quelques découvertes, dont quelques pièces presque complètes, et enfin dans les années 50 une pièce pour ainsi dire complète, le Dyskolos. D'autres découvertes peuvent toujours être espérées.

Cette édition du livre de poche donne tout ce qui est connu à ce jour de Ménandre. Les pièces dont nous avons la majeure partie, celles pour lesquelles nous avons quelques extraits, et aussi quelques scénarii de pièces, dont il est possible de restituer l'action grâce à des résumés ou adaptations de pièces postérieures. 19 pièces sont ainsi évoquées, ce qui représente moins de 20 % de pièces qu'aurait écrit Ménandre. A part le Dyskolos, la pièce complète, nous avons la majeure partie de L'Arbitrage et de la Samienne.

Le théâtre de Ménandre est rangé dans la catégorie de la Nouvelle Comédie, considérée comme très différente de l'Ancienne Comédie, dont le représentant le plus notable est Aristophane (le seul dont nous avons des pièces complètes), on évoque aussi une Comédie Moyenne, mais il n'en reste rien, et tout le monde n'est pas d'accord sur la pertinence de cette catégorie. La comparaison est donc seulement possible entre Aristophone et Ménandre. Les différences sont très importantes. Les comédies d'Aristophane évoquent la politique, l'actualité, la vie de la cité, un aspect poétique, presque surréaliste peut être présent, sans oublier un comique qui peut être grivois ou scatologique. Les pièces de Ménandre sont centrées sur le cercle familial, l'amour est l'élément central dans ses textes, l'action se passe chez personnes plutôt aisées et éduquées, les éléments trop grossiers sont éliminés. En général, un jeune homme de bonne famille est amoureux d'une jeune fille qu'il veut épouser, éventuellement (mais ce sont souvent des intrigues secondaires) il est amoureux d'une courtisane ou d'une jeune fille sur le point de le devenir. Il a besoin d'obtenir l'accord paternel, ce qui n'est pas toujours gagné. Mais il peut souvent compter sur un esclave habile, capable de soutirer de l'argent ou l'accord paternel, pour épouser la jeune fille, racheter la future courtisane, qui se révèle au final athénienne, et dont le père est l'ami du père du jeune homme. L'intrigue amoureuse est le centre de l'affaire, et les pièces se terminent comme de juste par un (ou plusieurs) mariage. L'opposition père-fils est le deuxième élément systématique, et se termine par l'émancipation du fils, qui s'exprime par le mariage choisi par le jeune homme.

Différents aspects peuvent paraître surprenants. Par exemple, la présence très réduite des femmes sur la scène (on peut le rappeler, jouées de toute façon par des hommes), alors que l'amour est le ressort principal. En réalité tout se décide sans qu'elles aient leur mot à dire, le seul désir qui compte, est celui du jeune homme. Il est frappant de voir le nombre de viols évoqués dans ces pièces, commis par ces jeunes hommes de bonne famille ; souvent l'excuse évoquée est le vin, l'ivresse, en particulier lors de fêtes ou manifestations religieuses, mais parfois même pas. Tant que tout cela se termine par un mariage, cela n'a pas d'importance. de même l'exposition des enfants nouveaux nés, qui étaient en réalité dans la plupart des cas, des condamnations à mort des nourrissons semble aujourd'hui inhumaine, alors qu'elle allait de soi à l'époque, en particulier pour les bâtards.

Ensuite la construction de la pièce surprendrait un spectateur d'aujourd'hui. Après une première scène d'introduction, il y a un prologue, dans lequel un personnage allégorique, raconte toute l'intrigue de la pièce jusqu'au dénouement, en rassurant l'assistance sur l'issue heureuse à venir. L'effet de surprise semble être désagréable pour le public. Les choeurs si présents chez Aristophane n'interviennent que lors d'intermèdes entre les actes, il semble s'agir de parties surtout musicales, sans lien avec l'action.

Il s'agit donc de pièces avec des intrigues, parfois complexes (même si elle sont éventées par le prologue) dont l'amour est le ressort principal. En deuxième plan, mais sans aucun doute cela devait être très important pour le public de l'époque, il y a quelque chose de l'ordre d'une comédie de caractère. Il y a par exemple un homme avare prêt à tout pour de l'argent, comme le Smicrinès du Bouclier : suite à la mort supposée de son neveu, il veut épouser sa nièce, pour récupérer l'héritage, comme la loi l'autorise. Une ruse lui ferra lâcher cette proie pour essayer épouser une autre nièce, encore plus riche, mais dont le père ne fait que simuler la mort. La rapacité de Smicrinès prêt à tout pour de l'argent est moquée, en particulier par l'esclave malin. Il ne faut pas oublier que Ménandre a été l'élève de Théophraste, un philosophe, qui a publié entre autre, Les caractères, une suite de descriptions de personnages, à chacun est associé un vice ou un défaut (La Bruyère va reprendre le principe), une typologie avec des aspects éthiques. On peut d'une certaine façon retrouver cette dénonciation de vices ou défauts dans les pièces de Ménandre.

On peut aussi, en filigrane, trouver dans ces pièces, une forme de critique de normes et règles sociales, par exemple dans le rôle moteur de l'esclave intelligent, qui ridiculise parfois son riche maître, et qui remet en cause la hiérarchie sociale. Les lois qui permettent au vieux Smicrinès d'obliger sa jeune nièce à l'épouser sont un autre exemple.

La comédie d'intrigue, avec le premier rang accordé à l'amour, de même que la comédie qui ridiculise certains travers ou défauts, sera remise à l'honneur à la renaissance, par les auteurs, d'abord italiens, puis d'autres pays européens, qui voulaient retrouver et imiter les auteurs antiques. Même si les textes de Ménandre n'étaient pas disponibles à l'époque, les adaptations latines et les résumés, ont fait que sa conception de la comédie est en quelque sorte revenue à la vie, avec quelques adaptations culturelles. L'esclave est ainsi remplacé par le valet. Pour voir à quel point le modèle de Ménandre a été utilisé, on peut citer Les fourberies de Scapin de Molière, ses deux jeunes gens amoureux, les deux pères que le valet dupe, et les scènes de reconnaissance finale, qui permettent aux jeunes gens d'épouser leurs belles, quasiment absentes de scène. Nous sommes exactement sur le même schéma.

Il est très difficile d'évaluer à quel point Ménandre a été original, à quel point il est celui qui a inventé ce genre de comédie, et à quel point il a pu s'inspirer ou imiter d'autres auteurs, puisque nous n'avons pas vraiment de textes des auteurs qui l'ont précédé ( la fameuse et débattue Comédie Moyenne) ou de ses contemporains. Néanmoins, pendant l'Antiquité, où ses textes étaient disponibles, il était considéré comme le plus grand dans son genre. Et compte tenu du corpus dont on dispose il y a peu de chances qu'il perde son statut de modèle, de créateur, d'un certain type de théâtre comique, qui est à l'origine du théâtre européen à partir de la renaissance.
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