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Critique de CorinneCo


J'écris cette mince appréciation au fil de la pensée (je viens de terminer le livre), donc cela risque d'être assez décousu et chaotique. J'ai toujours été sensible au "sauvetage" de la mémoire quel qu'elle soit. Tout en ayant à l'esprit que la mémoire est perfectible, mouvante, subjective, sélective, qu'elle doit se confronter au fleuve de la vie et à son érosion. Je dis d'emblée que je n'ai rien appris (au sens général) sur ce qui fut nommé "la Shoah par balles" ayant déjà une littérature historique sur le sujet derrière moi mais là en écrivant je me reprends tout de suite, car n'ayant jamais lu de témoignage sur ce qui se passa pour les juifs de la petite ville de Bolechow j'ai donc de ce fait appris quelque chose de plus. Je reviendrai, un jour, (sûrement à travers le livre du Père Patrick Desbois "Porteur de mémoire" ) sur cette période de l'extermination des juifs.
Daniel Mendelsohn part dans une enquête, une quête sur sa "mishpuchah " (famille). Il part au sens propre et figuré sur les traces du frère de son grand-père maternel adoré Abraham. Son grand-oncle Shmiel Jäger et sa femme Ester Schneelicht et de leurs quatre filles : Lorka, Frydka, Ruchele, Bronia, assassinés par les nazis. Cette affirmation énoncée souvent par les personnes les plus âgées de la famille de Daniel Mendelsohn, affirmation teintée de douleur, de mystère dont on parle sans parler. Et puis lui, Daniel il ressemble tant à Shmiel entend-il souvent....
Ce livre est une Odyssée. Récit très dense abordant l'histoire familiale, L Histoire, la Philosophie, la réflexion biblique. C'est aussi une méditation sur la part de hasard et d'inéluctable inscrit dans la vie de chacun. Collectant au fil des années auprès des membres de sa famille mais aussi d'organismes divers une somme considérable d'informations sur la famille de sa mère et de son père (certificats de naissance, certificats de décès, archives de registres de commerces, témoignages écrits et oraux, données généalogiques...) Il le dit lui-même, la seule zone d'ombre, la lacune récurrente est ce grand-oncle et sa famille (à part de très rares photos qu'il dissèque sans rien en retirer de probant). Une phrase, un mot, un nom inconnu, une réflexion anodine le persuade de pousser ses recherches, d'être plus méthodique et plus opiniâtre à sortir cette famille de l'oubli de leur vie.
Mendelsohn qui se décrit comme sentimental, digresse fréquemment, ses passions, ses souvenirs d'enfance, se mêlent souvent au récit.
Peu à peu, de ces témoignages émergera un monde effacé, annihilé, le monde des Shtetls.
C'est une course à travers le globe (on peut appeler cela ainsi puisque souvent l'âge avancé des témoins, impose à Mendelsohn un timing serré). Ce qui importe le plus et ce qui s'imposera de plus en plus dans les questions de Mendelsohn se sera de connaître la vie, d'avoir un nuage de la vie de ces six personnes. Il veut l'écoulement de leur quotidien, l'impression futile du souvenir (il était « toyb » (sourd), fier ; il avait la première radio de la ville ; elle avait de jolies jambes, elle était bonne cuisinière, elle portait son cartable comme ça, etc...).
Bien sûr inutile de rappeler que ceux qui témoignent, les vieilles juives et les vieux juifs de Scandinavie, d'Israël, d'Australie soit, ont pu partir à temps, soit se sont cachés jusqu'à la fin de la guerre. Ce sont donc des témoins "par défaut". C'est une parole réappropriée, passée au tamis de la distance de la réalité. Ce n'est que le récit d'une réalité. Ceux qui l'ont vues et vécues ne sont plus là.
Daniel Mendelsohn pense que malgré tous ses efforts, tous ces kilomètres engloutis, ces pays parcourus, toutes les questions posées et les réponses reçues, il ne saura jamais comment toute cette famille si lointaine et si proche, presque entrée dans son propre mythe a disparu. Même les vieilles et les vieux Ukrainiens de Bolechow sont bien vagues. Combien d'Aktion à Bolechow ? Deux, trois ? Qui a été tué en premier ? La fille la plus jeune ? Avec qui s'est caché Shmiel Jäger ? Ces deux filles les plus âgées ? Qui les a dénoncés ?
Daniel Mendelsohn décide donc de retourner une dernière fois à Bolechow (lui qui déteste revenir dans un endroit qu'il connaît déjà, il le fait presque par acquis de conscience). Il faut clore l'histoire, achever l'accomplissement de la quête. Et puis « genug ist genug ».
Daniel Mendelsohn a la réflexion sensible, « sentimentale », drôle parfois, érudite, douce et respectueuse. Il écrit sur la démarche de chercher,qu'il lie à l'action de création et Création. de cette démarche parfois infime en sortira une chose importante, banale peu importe, mais cette chose obscure et invisible qui pour lui a toujours été là est rendue visible et lisible de par la décision de chercher.
Dans ce retour morne qu'il raconte comme la fin d'une énigme policière, avec un sens indéniable de la narration mais surtout de la « chute », soudain le puzzle s'emboîte. Il trouve.


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