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Matt Mendelsohn (Illustrateur)Pierre Guglielmina (Traducteur)
EAN : 9782081205512
650 pages
Flammarion (03/09/2007)
4.15/5   780 notes
Résumé :
Depuis qu'il est enfant, Daniel Mendelsohn sait que son grand-oncle Shmiel, sa femme et leurs quatre filles ont été tués, quelque part dans l'est de la Pologne, en 1941. Comment, quand, où exactement ? Nul ne peut lui en dire plus. Et puis il découvre ces Lettres désespérées écrites en 1939 par Shmiel à son frère, installé en Amérique, des lettres pressant sa famille de les aider à partir, des lettres demeurées sans réponse…

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Critiques, Analyses et Avis (123) Voir plus Ajouter une critique
4,15

sur 780 notes
Ruchele Jager avait seize ans en 1941. Sur la photo, elle est une jeune fille belle et souriante.

Nous avons tous dans nos tiroirs quelques photos de nos aïeux prises dans leur jeunesse. J'avais demandé à mon grand-père des photos de lui quand il était jeune et ainsi j'avais récupéré un portrait de lui et ma grand-mère dans les années quarante. En 1941, il avait vingt-quatre ans et ma grand-mère vingt. Ils ont vieilli, pour le meilleur et pour le pire… Mais Ruchele, elle, n'a pas vieilli… Pourquoi ?... Parce qu'elle « a été tuée par les nazis ». Comment ? À cause de "la Shoah par balles ». Qu'est-ce que cela signifie? Que se cache-t-il derrière ces étiquettes très brèves, trop brèves peut-être?

Daniel Mendelsohn s'est posé la question et est parti enquêter aux quatre coins du monde, sur les traces de Ruchele, ses soeurs : Lorka, Frydka, Bronia et leurs parents: l'oncle Shmiel et la tante Ester.

Ce récit se lit à la fois comme une enquête policière, un essai philosophique et une réflexion historique, psychologique et métaphysique, grâce à l'insertion et aux commentaires de passages bibliques.

J'ai trouvé le texte agréable à lire malgré la gravité du propos. J'avais envie comme Daniel Mendelsohn de comprendre comment le mal et l'horreur absolu pouvaient soudain surgir mais aussi, comme lui, de savoir qui étaient ces quatre jeunes filles, comment elles avaient vécu, qui les connaissait, qui les aimait, quels souvenirs ceux qui les avaient côtoyées gardaient d'elles.

Daniel Mendelsohn est un conteur érudit et talentueux qui parvient à retracer les histoires croisées des membres de sa lointaine et défunte famille. le récit est toujours captivant, jamais glauque. Pourtant, il ne cache rien des horreurs de cette terrible période. Il sait faire preuve d'une grande empathie, tout aussi grande que son intelligence, son aptitude à apaiser les esprits tourmentés par la culpabilité et ainsi obtenir sans juger des confessions qui l'aident à mieux comprendre la situation politique des pays de l'Est dans les années quarante, comment tout a basculé dans la barbarie, comment le voisin est soudain devenu un ennemi qu'il fallait éliminer.

Ce livre est un hommage rendu aux êtres chers disparus pour qu'ils ne sombrent pas définitivement dans l'oubli. Soixante ans après, il n'est pas évident de trouver des témoins, d'anciens amis, petits amis qui, parfois, n'ont pas envie de se remémorer une page douloureuse de leur existence.

Dans Les Disparus, Daniel Mendelsohn voudrait d'abord savoir comment sont morts ses aïeux mais ce qu'il finit par apprendre, c'est surtout comment ils ont vécu. Ainsi, il les fait revivre à travers ses recherches et la quête de témoignages. Il reconstitue une époque révolue et qui pourtant n'est pas si différente de la nôtre. La jeunesse des quatre filles ressemblerait presque à la nôtre et à celle de nos enfants. C'est ce qui est troublant, effrayant, nous incite à la vigilance, à la réflexion sur le mal et comment il peut parfois surgir ou pourrait resurgir.

Ce récit revêt un caractère universel, intemporel et, à travers l'histoire personnelle de Daniel Mendelsohn, devient un livre qui honore aussi la mémoire de tous les peuples victimes de massacres de masse et de génocides.

Lien : https://laurebarachin.over-b..
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Dans le Temps retrouvé, Proust écrit : « En réalité, chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de soi-même. L'ouvrage de l'écrivain n'est qu'une espèce d'instrument d'optique qu'il offre au lecteur afin de lui permettre de discerner ce que sans ce livre, il n'eût peut-être pas vu en soi-même. »

C'est exactement ce que j'ai toujours pensé à la lecture de nos différents ressentis sur un même récit, il y a une résonnance entre notre moi le plus intime et le contenu d'un livre, c'est un miroir dans lequel, notre subconscient se reflète.

Les photographies jouent un rôle essentiel dans cette recherche. Daniel Mendelsohn m'a, ainsi, aidée à comprendre cet attachement particulier que j'avais avec les photographies de ma famille. Devant les paysages dévastés à la suite de catastrophes naturelles, je me suis toujours dit que le pire pour moi, serait de perdre mes photographies.

Cette photographie qui fixe, dans le temps et dans l'espace, le sourire d'une personne, son visage, son regard, son attitude, sa tenue vestimentaire, sa manière de regarder l'objectif ; une photo, ce fragment du passé qui vient se glisser dans le présent et bien que cela ne soit qu' « un instantané durable », cette image signifie que celui qui regarde l'objectif a vécu, a eu sa part de bonheur, sa part de souffrance, a aimé, a pleuré, en un mot, il a été un être de chair et de sang : l'histoire d'une vie.

Dès l'âge de quinze ans, Daniel Mendelsohn s'est intéressé à la généalogie de sa famille. Passionné par les histoires que lui racontait son grand-père, Granpa - Abraham Jäger, il s'est penché très vite sur l'histoire de sa famille, celle qui résidait en Pologne, à Bolechow, « Schmiel et Ester qui avaient quatre filles superbes, tués par les nazis ». Schmiel, dont le nom figurait au dos des photographies mais dont personne ne prononçait le nom, s'était transformé en une énigme dont la résolution se perdait dans la nuit des temps.

Et ce silence et ces larmes que versaient les vieilles personnes juives lorsqu'à six ou sept ans, Daniel rentrait dans une pièce, entouré de tous ces murmures en yiddish pour mieux en préserver le secret. Tous ces mystères ont éveillé chez lui son intérêt, sa curiosité, pour « Schmiel assassiné par les nazis ». Granpa s'en est allé en 1980, sans jamais avoir parlé de ce qui était arrivé à Schmiel. Il ne reste que les photographies et ces quelques lettres adressées par Schmiel à sa famille mais pourquoi n'y a-t-il aucune trace des réponses. Les porteurs de mémoire ont rejoint « Les disparus ». Les questions ne peuvent rester sans réponse.

C'est un récit unique en son genre qui relate toutes les recherches, les rencontres effectuées avec les survivants, par l'auteur et son frère Matt, des Etats-Unis où ils résident, de la Pologne à Israël, de la Suède au Danemark, dans un style particulièrement vivant, où les dialogues vibrants, intimes, parfois douloureux, très souvent en yiddish (toujours traduits) viennent animer le récit, lui donnant toute son intensité. Ce livre est un hommage à sa famille mais il est aussi une épitaphe à tous les Juifs ashkénazes qui ont vécu ces persécutions, donnant ainsi la juste mesure de ce qu'était la vie dans ces pays d'Europe de l'Est et Centrale avant l'arrivée des nazis et pendant l'occupation des nazis. Cette enquête abouti à un livre édifiant sur la Shoah mais pas n'importe lequel, un récit pétri de chair et de sang, d'émotions, de sensations, de bonheurs et de douleurs, taillé dans les souvenirs qui parfois sont tapis au fin fond de l'inconscient . Il lui faut se confronter aux témoignages, parfois différents, des rescapés, témoignages fondés sur le réel mais, aussi, parfois aux projections de leur imaginaire dans une reconstruction de la mémoire soixante ans plus tard. Et puis toujours cette sensation désagréable qu'il manque une suite, que le témoignage est incomplet, qu'il y a encore comme un vide, ce ne sont que des fragments, il faut remuer le passé, redonner vie à ce que l'on s'est efforcé d'oublier, les dégâts psychologiques, les tragédies et les drames qui hantent. C'est une quête identitaire mais surtout une quête des racines, celles qui vous enfoncent dans le sol des origines, qui vous disent qui tu es, d'où tu viens, où tu vas et ce qui est troublant dans ce récit ce sont les rencontres inattendues qui vont se trouver sur le chemin de Daniel - des portes vont s'ouvrir.

A l'heure où les rescapés disparaissent les uns après les autres et qu'ils ne peuvent plus témoigner, l'auteur tente de redonner vie aux membres de sa famille disparus. Il se fait passeur de mémoire dans un récit bouleversant, d'une grande érudition, qui s'inscrit dans les obsessions qui touchent les enfants, les petits-enfants issus des victimes comme les survivants de la Shoah.

Daniel Mendelsohn est professeur de littérature classique à l'Université de Princeton. Helléniste et francophile, essayiste, critique littéraire, son style est à la fois intellectuel et intimiste. La singularité de cet ouvrage, nonobstant la charge émotionnelle, tient à sa construction qui s'appuie sur la Torah. Découpé en cinq parties qui portent chacune le nom d'un passage de la Torah, il procède par analogie entre l'exégèse biblique qu'il rapproche des évènements survenus dans sa famille et les exposés de deux éminents commentateurs tels que Rachi ou Friedman. Linguiste confirmé, il décompose l'hébreu afin de mieux démontrer les corrélations entre L'Histoire et la Bible hébraïque. C'est passionnant et troublant tant la Bible possède plusieurs niveaux de lecture que chaque lecteur peut s'approprier. de là à penser que tout est écrit dans la Bible……

Au fur et à mesure de cette lecture tellement délicate, d'une grande finesse, cette famille est devenue la mienne.
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"We shall not cease from exploration
And the end of all our exploring
Will be to arrive where we started
And know the place for the first time."
(T.S. Eliot, "Four Quartets")

Il n'est pas aisé de qualifier le brillant livre de Daniel Mendelsohn. Est-ce un roman, un document, un témoignage, une quête généalogique, un récit sur la Shoah ? On a un brin de chaque, et l'ensemble nous donne une histoire passionnante ; un livre nécessaire sur la transmission de la mémoire.
Imaginez qu'on vous pose des questions sur un ami que vous avez connu enfant. Seriez vous encore capable de vous en souvenir ? Donner des détails sur sa vie, sa famille, savoir ce qu'il est devenu ? Au fur et à mesure que les années passent, les connaissances et les événements d'autrefois tombent dans l'oubli. Parfois consciemment, parfois seulement parce que la vie est ainsi faite, et les vieux souvenirs se transforment, s'effacent, et disparaissent...
Il est de notre devoir d'humain d'entretenir la mémoire des 6 millions de victimes de la Shoah, et la littérature sur le sujet ne manque pas. Mais ceci est la quête personnelle d'un homme à la recherche du destin des six membres de sa famille, perdus dans cet océan anonyme. Et ces personnes ont bien un nom : son grand-oncle Shmiel Jäger, sa femme Ester, et leurs quatre filles - Lorka, Frydka, Ruchele et la petite Bronia.

Enfant, Daniel Mendelsohn - un Juif new-yorkais dont la famille vit en Amérique depuis trois générations - a toujours été fasciné par les vieilles histoires racontées par son grand-père. Y compris celles de Bolechow, la bourgade en Galicie où Shmiel, le frère de son grand-père, a décidé de retourner après son bref passage aux Etats-Unis pendant la guerre. Dans la famille Mendelsohn, on ne sait pas grand-chose sur la famille Jäger, seulement qu'ils ont été tous "tués par les nazis". Mais quand et comment sont-ils morts ? Est-il encore possible d'en savoir plus sur ces six disparus depuis le début des années 40, quand tant de Juifs ont péri dans les camps de concentration, et d'autres étaient fusillés lors des nombreuses razzias organisées ou spontanées un peu partout dans ce coin d'Europe ?
Mendelsohn est du genre obstiné. Ses recherches généalogiques, ses correspondances et ses fouilles méticuleuses pour trouver les témoins de ces événements - quelques "anciens de Bolechow" qui soient encore en vie - sont peu à peu couronnées de succès. Ses pas, en compagnie de son frère, le mènent d'abord à Bolechow (en actuelle Ukraine), puis aux quatre coins du monde, en des endroits aussi éloignés que l'Australie, Israël, la Suède ou le Danemark. Tant d'années après la guerre, c'est parfois littéralement une course contre la montre, et les résultats relèvent du miracle.
Alors oui, on saura... mais on saura aussi que la quête en soi peut devenir plus importante et révélatrice que son résultat final. Que des impasses peuvent cacher des portes secrètes qui s'ouvrent sur d'autres personnes et d'autres souvenirs. Que tout cela n'est en réalité jamais fini, et que les souvenirs sont importants non seulement pour qu'on sache comment les gens sont morts, mais aussi et surtout comment ils ont vécu.

Le destin de la famille Jäger n'est qu'une petite histoire perdue dans le cours de l'Histoire, et Mendelsohn va patiemment la reconstruire à l'aide de témoignages entrecroisés, enregistrements, anciennes notes, lettres et photos. Son écriture ne tombe jamais dans le pathos, même lors des passages glaçants sur les "aktions" à Bolechow, sur les comportements inhumains ou sur les observations de quoi on est parfois capable pour sauver notre vie, ou celle de quelqu'un d'autre. Mais le livre est aussi loin d'avoir un style sec et documentaire : chaque infime détail compte - les gestes, les intonations, les petites observations et souvenirs, les sonorités de certains mots, l'accent avec lequel ils sont prononcés ou la façon dont ils sont orthographiés - tout cela est parfois répété jusqu'à l'obstination, et donne une dimension très personnelle et presque mélancolique au récit.
Cette vaste entreprise est encore mise très intelligemment en valeur par son reflet dans la Torah et les quatre premiers récits de la Genèse. Ces passages ponctuent et organisent le livre de Mendelsohn et lui ajoutent une dimension supplémentaire, en nous rappelant l'histoire biblique du peuple juif. L'arbre de la connaissance fait écho aux arbres généalogiques, tout comme l'histoire de Caïn et Abel reflète non seulement Shmiel et son frère, mais aussi Daniel et son frère Matt, ainsi que les rapports entre les Juifs, les Polonais et les Ukrainiens à Bolechow. Tant de châtiments divins s'abattent sur le peuple juif, et à chaque fois Dieu va choisir seulement quelques justes qui doivent survivre. Peut on anéantir tout un peuple ? Condamner toute une nation pour cet anéantissement ? Peut on juger objectivement tous les actes du passé ? Certains des témoins de Daniel le pensent, d'autres préfèrent se taire ou occulter une partie de la vérité. Daniel ne juge pas, il veut juste savoir, afin de préserver ses "disparus" de leur disparition définitive.

Pendant la lecture j'ai souvent pensé à "l'immortalité" de Kundera : un livre qui met en parallèle "l'immortalité" des grands hommes qui se transmet par la mémoire collective, et la "petite immortalité" de tout un chacun, possible seulement grâce à la mémoire familiale, et bien plus difficile à entretenir. C'est cette "petite immortalité" qui est le but de la quête de Mendelsohn, en nous révélant au passage tout un pan de la grande Histoire. 5/5, avec tous mes respects, et non seulement au livre.
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C'est un très beau livre. Daniel Mendelsohn nous explique l'objet de sa recherche.
Shmiel, son grand-oncle, sa femme et leurs quatre filles ont été tués, durant la seconde guerre mondiale, dans l'est de la Pologne, en 1941. Il va parcourir le monde et faire des allers-retours, de Bolechow en Ukraine, en Australie, en Suède, au Danemark et en Israël, puis une dernière fois, revenir à Bolechow, pour marcher dans les pas de Shmiel.
Il nous parle des ‘Aktions' allemandes lors de l'extermination des Juifs, celles des Allemands, mais aussi des Ukrainiens et du paradoxe des contextes de ‘temps ‘, celui de la guerre et de l'après guerre. Les bons Ukrainiens d'aujourd'hui dont l'accueil est si chaleureux et les mauvais Ukrainiens d'hier, ceux des milices, idem, des bons et des mauvais Juifs. Mais, qui est-on pour juger et surtout que savons-nous, qu'aurions-nous fait, nous, en de pareilles circonstances ?
Non ! Il ne juge pas, il ne veut pas juger. D'ailleurs, on ne lui dit pas tout, on ne peut pas tout lui dire et il y a des choses qu'on ne sait pas, tout simplement. Mais qu'est-ce qu'il cherche en fait ? Il en va de l'espoir au désespoir, celui de ne rien trouver là et de trouver ici des éclaircies qui lui donnent accès à des périodes de sérénité et même de ravissement, à l'évocation de souvenirs qui lui sont restitués, comme : « elle avait de belles jambes, elle était très jolie, elle était amoureuse... » Des périodes de son enfance : « les chaussures bien rangées, alignées à l'extérieur, à l'entrée de la maison. Non ! On ne pénétrait pas chaussé à l'intérieur... » Et jusqu'à ces souvenirs des savoirs faire en cuisine, des saveurs et des repas traditionnels, voire, ceux des rituels, puis les mots. Ces accents qui sont les reflets d'une parenté, d'un passé bien précis et de cette vie d'ailleurs, celle de ces gens-là. Non ! Ce n'est pas à proprement parler celle de l'oncle Shmiel, mais des moments d'intimité des autres familles, des familles qui se rapprochent de la sienne et donc, une intimité qui a pu être, la sienne, à Shmiel, comme celle toute semblable qu'il partageait avec son grand-père, celui qui savait si bien lui transmettre, de son être, de cette part de lui, à travers les histoires qu'il lui racontait et qui le transportait, lui, le petit Daniel. Cet enfant qu'on regardait bizarrement et dont la ressemblance avec Shmiel provoquait les pleurs, une attitude qui ne manqua pas de le troubler et d'attirer justement son attention sur cet oncle, celui, dont on ne parlait pas, dont on ne parlait plus, un silence, qui attisera sa curiosité jusqu'à cette détermination.
Écrire un livre. Ne pas renoncer. Aller jusqu'au bout de ses résolutions.
Oui ! C'est bien cela qu'il cherche Daniel, à travers tous ces récits, la reconstitution de son héritage affectif, de ces familles et de la sienne propre. Ce prolongement du grand-père qu'il a tant aimé et qui lui manque. C'est aussi ce que cherchent, tous ceux qui n'ont pas connu leurs vrais parents. Surtout au moment d'accueillir une nouvelle descendance. La femme, quand elle a tant besoin, avant d'enfanter, d'augmenter ces repères, comme si une conscience aveugle lui dictait qu'elle avait à transmettre à son tour et qu'il lui manquait, à elle, ses propres connaissances.
Il va même se battre contre le temps, ce temps qui passe et qui efface tout. Il s'attachera à Madame Begley jusqu'à son dernier instant, celui d'après, juste après qu'elle lui dise : « je vous aime, vous savez ».
C'est une belle oeuvre dont la construction est très agréable à lire. Les faits sont retranscrits de façon véridiques et sans exagération, sans extrapolation. Daniel fait mention des passages de la bible qui nous éclairent intelligemment et qui ont un effet réparateur, si je puis dire, l'effet de tempérer l'atmosphère autant que de l'expliciter, quand à l'esprit de la fratrie, par exemple, quand Cain tue Abel et puis des faits de théologie qui nous éclairent autant que la philosophie peut nous aider à comprendre que précisément, le fait de comprendre n'est pas absoudre, si ce n'est en nous, le refus d'être cela, c'est-à-dire d'accepter que nous soyons aussi nous-mêmes capables de tuer. Ce qui revient à dire que s'il n'est pas question de nier, il n'est pas question non plus de ne pas renier par un effort de compréhension que nous puissions être finalement, que cela.
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Que se passe t'il dans la tête d'un enfant quand en rentrant dans une pièce remplie de grand-oncle et de grand-tante ceux-ci se mettent à pleurer?
C'est ce qui arriva à Daniel Mendelsohn à l'age de sept ou huit ans lors d'une réunion de famille en Floride. C'est juste une histoire d'ADN, une ressemblance familiale qui va donner à Daniel L envie d'en savoir plus sur sa famille d'Ukraine et surtout grace à son grand-père maternel Abraham et ses histoires du monde d'avant la folie meurtrière.
A quinze ans Daniel devient le généalogiste de la famille et commence le travail de fourmis qui va lui prendre cinq ans de sa vie.
1939 l'Allemagne nazi envahit la Pologne, Sam Shmiel de son shtetl de Bolechow en Ukraine envoie à ses frères et soeurs émigrés aux Etats-Unis des lettres, des demandes d'aides pour aider ses quatre filles à sortir du pays.
Sur 3000 juifs de Bolechow seulement 48 survivront à la Shoah.
Commence pour Daniel un voyage dans le temps, dans l'histoire et dans l'horreur.
Le temps est compté, ceux qui ont connu la famille Shmiel sont âgés et la mémoire n'est plus ce qu'elle était, un long voyage commence, l'Ukraine, Israël, l'Australie, la Suede...
Les disparus de Daniel Mendesohn est une oeuvre gigantesque entrecoupée de passage de l'ancien testament, un livre pour lutter contre l'oubli, celles et ceux qui ont été effacés, car que vaut un arbre généalogique sans branches. J'ai passé un long moment avec la famille Shmiel, ce fut douloureux mais Daniel m'a aidé grâce à son écriture pleine d'empathie et de douceur. j'en garderais un beau moment de lecture.
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Citations et extraits (114) Voir plus Ajouter une citation
Mon désir de posséder un tel récit n’était pas très différent du désir qu’avait mon grand-père de croire aux histoires du voisin juif ou de la bonne polonaise. Les deux étaient motivés par un besoin de croire à une histoire qui, aussi horrible fût-elle, donnait un sens à leurs morts – qui ferait qu’ils seraient morts de « quelque chose ». Jack Greene m’a dit autre chose, ce soir-là : ses propres parents, comme Shmiel, avaient espéré pouvoir mettre leur famille à l’abri, obtenir des visas ; mais, en 1939, la liste d’attente pour obtenir des papiers était de six ans (et six ans plus tard, tout le monde était mort, a-t-il ajouté). Comme je suis quelqu’un de sentimental, j’aimerais croire – nous ne le saurons jamais, bien sûr – que mon grand-père, ses frères et ses sœurs, ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour Shmiel et sa famille. Ce que nous savons, au moins, c’est que, en 1939, rien de ce qu’ils auraient pu faire n’aurait pu les sauver.
Pendant tout notre voyage, j’avais été déçu parce que aucune des histoires dont j’avais entendu parler n’était confirmée par ce que nous pouvions entendre et voir ; pendant tout le voyage, j’avais désiré un récit passionnant. C’était seulement en écoutant Jack Greene que j’ai compris que j’étais à la recherche de la mauvaise histoire – l’histoire de la façon dont ils étaient morts, plutôt que celle dont ils avaient vécu.
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C'est cet échec arbitraire à comprendre Sodome dans son contexte, en tant que métropole ancienne du Proche-Orient, en tant que lieu de plaisirs sophistiqués et même décadents, de beautés hyper-civilisées, qui aboutit à cette incapacité du commentateur à saisir la véritable signification des deux éléments cruciaux de cette histoire : le commandement de l'ange à la famille de Lot de ne pas se retourner vers la ville qu'ils fuient et la transformation de la femme de Lot en statue de sel. Car si vous voyez en Sodome quelque chose de beau – qui le paraîtra encore plus, sans aucun doute, du fait qu'il faut l'abandonner et la perdre à jamais, précisément de la même manière que des parents morts sont toujours plus beaux et meilleurs que ceux qui sont encore en vie –, alors il me paraît clair que Lot et sa famille reçoivent l'ordre de ne pas regarder en arrière non comme une punition mais pour une raison pratique : parce que le regret pour ce que nous avons perdu, pour les passés que nous devons abandonner, empoisonne parfois toute tentative pour commencer une vie nouvelle, ce qui est ce qui attend Lot et sa famille, tout comme l'avaient fait Noé et sa famille, et comme doivent le faire d'une manière ou d'une autre tous ceux qui ont survécu à d'horribles annihilations. Cette explication, à son tour, permet d'expliquer la forme prise par le châtiment de la femme de Lot – si c'est bien un châtiment, ce que je ne crois pas personnellement, dans la mesure où, selon moi, cela ressemble beaucoup plus à un processus naturel, à l'expression inévitable de sa personnalité. Pour ceux qui sont contraints par leur nature de regarder toujours en direction de ce qui est passé, plutôt que vers l'avenir, le grand danger, ce sont les larmes, les sanglots impossible à contenir dont les Grecs, sinon l'auteur de la Genèse, savaient qu'ils n'étaient pas seulement une douleur mais aussi un plaisir narcotique : une contemplation endeuillée et cristalline, si pure, qu'elle peut finalement vous immobiliser.

Quatrième partie : « Lech Lecha, ou En avant ! (juin 2003-février 2004) », 4. « Chez soi de nouveau (un faux dénouement) », pp. 808-809.
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Alors que nous passions devant la Zeremonienhalle, qui était, je ne me rendais pas compte alors, une reconstruction, une restauration d'un édifice qui avait été incendié le soir du 8 novembre 1938, et marchions en direction des tombes proprement dites, le panorama qui nous a accueilli était celui d'un grand vide. Car de ce vaste terrain qui avait été acheté par les Juifs de Vienne dans les années 1920 pour la nouvelle section du cimetière, une fois que l'ancienne section avait été surpeuplée par les morts de cette florissante communauté, seule une petite portion était occupée par les tombes. A côté de ces tombes (presque aucune d'entre elles, avons-nous remarqué en y circulant, ne porte de dates postérieures au début des années 1930), se déployait une vaste prairie vide. Nous l'avons regardée fixement pendant un moment, avant de comprendre que la Nouvelle Section juive était en grande partie vide parce que tous les Juifs qui auraient dû être enterrés là, selon le cours normal des choses, étaient morts dans des circonstances qu'ils n'avaient pas prévues et s'ils avaient été enterrés, l'avaient été dans d'autres tombes moins élégantes qu'ils n'avaient pas choisies. [...] J'avais passé pas mal de temps dans les cimetières, mais il ne m'était pourtant jamais venu à l'esprit, avant cet après-midi dans le Zentralfriedhof, que les cimetières, eux aussi, pouvaient être vidés de leur vie.
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Chez Anna - à Tel Aviv - page 382

Je lui ai dit que nous avions appris de Jack Greene que Ciszko Szymanski avait été exécuté pour avoir essayé d'aider Frydka. Elle a parfaitement compris ce que je disais, parce que avant même que j'aie fini de parler, elle m'a regardé en disant en yiddish, Oui, c'est ce que j'ai entendu dire.

C'est à ce moment-là qu'elle s'est penchée au-dessus de la table basse, comme une femme qui voudrait confier un cancan à une amie, et qu'elle a parlé très rapidement. La tension entre l'intimité de son geste et le fait d'avoir à attendre la traduction de Schlomo m'a frappé comme quelque chose de significatif : ça m'a paru être un symbole de tout ce que je ressentais ce jour-là - l'étrangeté d'avoir à intégrer, d'un coup, des distances impossibles de temps, de langues et de mémoires, à l'immédiateté et à la vivacité des fragments, très brefs mais émouvants, que j'entendais sur mes parents morts depuis longtemps. "Viens prendre des fraises ! Il était sourd ! Un papillon".

Schlomo écoutait ce qu'Anna disait, penchée vers moi dans ce mouvement de confidence, et il s'est ensuite adressé à moi.
Elle a dit que lorsqu'ils se sont fait prendre, Ciszko a déclaré ; "Si vous la tuez, alors vous devriez me tuer aussi.

Pendant un instant plus personne n'a rien dit. Je savais, bien entendu, que Frydka avait inspiré bien plus qu'une amourette. Ce garçon a payé de sa vie pour ça, avait dit Jack à Sydney. Mais c'était vraiment quelque chose que d'entendre à présent la ferveur, la bravade juvénile, des derniers mots de ce garçon. Si vous la tuez, alors vous devriez me tuer aussi! Et ils l'ont tué. Là-dessus, tout le monde était d'accord même s'il allait me falloir encore deux ans pour découvrir comment exactement.

Ndl : Ciszko et Frydka s'aimaient, lui n'était pas Juif!
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Alors qu'Alex traduisait le récit de Pyotr de la marche vers la mort de ses voisins, je me suis souvenu du timbre exact de la voix de mon grand-père au téléphone quad il disait "Adieu" : ce "a" à peine soufflé des Juifs polonais, cette prononciation qui a aujourd'hui presque disparu de la terre. Mais ce n'est pas pour cette raison que ces adieux angoissés sont restés gravés dans mon esprit et ont constitué les détails les plus horribles de tous ceux que nous avons entendus ce jours-là. C'est seulement plus tard, après mon retour aux Etats-Unis que je me suis aperçu que cet unique détail reliait ce que nous avions entendu à Bolechow, ce jour-là, le jour dont tout allait dépendre, à quelque chose dont je m'étais souvenu dans les lettres de Shmiel : l'adieu à la fois conscient et impensable .

Je vous dis adieu et je vous embrasse de tout mon cœur.

Adieu, nous ne nous reverrons plus jamais.

C'est un fait bien établi que la plupart des actes de sauvagerie les plus violents perpétrés contres les Juifs de l'Europe de l'Est l'ont été, non par les Allemands eux-mêmes, mais par les populations locales de Polonais, d'Ukrainiens, de Lituaniens, de Latviens - par les voisins, les intimes, avec qui les Juifs avaient vécu côte à côte pendant des siècles jusqu'à ce qu'un délicat mécanisme se grippe et qu'ils se retournent contre eux.

Page 168
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