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Critique de Rodin_Marcel


Livre exceptionnel : Daniel Mendelsohn «Les disparus» (titre original «the lost») publié chez Flammarion.
C'est remarquable, très bien écrit, très bien traduit.
L'auteur, né en 1960, est un universitaire américain (lettres classiques), d'origine juive, élevé dans l'une de ces confortables familles juives états-unisiennes, mais qui, depuis sa bar-mitsva et même avant, constate que - lorsqu'il entre dans une pièce lors d'une réunion familiale, la plupart des personnes âgées s'exclament «comme il ressemble à Schmiehl» et se mettent à pleurer. Impossible cependant pour lui d'en apprendre plus sur ce lointain parent Schmiehl (Samuel en yiddish), il y a là l'un de ces trous noirs caractérisant l'histoire d'une famille : même son grand-père, si prolixe en histoires variées, esquive lorsqu'il est questionné à ce sujet.
Schmiehl et sa famille, son épouse et quatre filles, ont disparu pendant la Shoah, dans une petite ville perdue aux confins de la Pologne, de l'Ukraine, de l'ancienne Autriche-Hongrie voire de la Russie : l'enfant ne pourra jamais en savoir plus. Jusqu'au jour où, devenu un universitaire aguerri, ayant appris l'allemand, le grec et le latin, il décide d'en avoir le coeur net et se lance dans une quête, ou plutôt une enquête visant à découvrir qui était exactement ce Schmiehl et comment il a été tué, lui et sa famille.
Ce livre n'est pas pour autant «un témoignage de plus» sur la Shoah, même s'il éclaire cet aspect encore relativement peu connu du grand public de ce que fut la «Shoah par balles». Ce qui est - à mes yeux - profondément touchant dans ce livre, c'est de percevoir à quel point l'auteur à mis au service d'une quête personnelle tous les acquis d'une intelligence universitaire (sous son meilleur aspect, loin des bavardages intellectualisants et inutiles). Il mène sa recherche comme un chercheur le ferait, avec rigueur, en tenant, autant que faire se peut, sa subjectivité à distance. Son écriture est nette, sans emphase «à la Camus».
L'une des principales difficultés va consister pour lui à découvrir des personnes très âgées, témoins de l'époque, à respecter leur témoignage sans pour autant renoncer à le mettre en perspective ou à le croiser avec d'autres pour vérification. L'autre réside dans la volonté de ne pas porter de jugement, de restituer toutes les nuances, d'éviter les condamnations lapidaires, même lorsqu'il découvre des abymes d'horreur, y compris dans son propre entourage (oui, il a existé une police juive qui aidait les nazis à exterminer les juifs) : il lui suffit alors de relater les faits, il est inutile d'ajouter quoi que ce soit.
La dimension cosmique, intemporelle, de cette catastrophe est finement rendue par le rapprochement avec des extraits clés de l'Ancien Testament : le lecteur découvrira le sens du «Bereishit», de l'Arbre, d'Abel et Caïn et de bien d'autres «parashat». Seul ce texte est à la hauteur de la catastrophe.
L'auteur court après la mémoire qui est en train de disparaître : certains témoins meurent avant qu'il ait eu l'occasion de les rencontrer ou avant la sortie du livre. Il y a donc une réelle urgence dans l'écriture qui n'est pas feinte. L'auteur en est lui-même modifié.
Dans tous les sens possibles du terme, c'est un livre de mémoire, dont la qualité d'écriture procure de surcroît un incontestable plaisir de lire.
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