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Citations sur Le Correcteur (5)

Ce qui éloigne de façon décisive l’homme politique de l’écrivain, c’est leur relation inverse aux détails. La politique, par définition, est le règne de la négation du détail. George Walker Bush dit dans un micro ouvert : « Il faut en finir avec cette merde », et « cette merde », c’est le Liban, c’est le Hezbollah, la Syrie, c’est Israël, c’est la Palestine, c’est une histoire millénaire fondée sur l’intolérance religieuse et nourrie par des intérêts économiques qui portent préjudice à des millions de personnes.
La littérature, quant à elle, est par définition la fraternité du détail, une pratique déjà millénaire qui se nourrit du détail, un exercice exigeant qui trouve dans le détail sa récompense et sa raison profonde d’exister. Car l’écrivain, dans ce cas précis, doit plonger dans le détail et expliquer ce que diable incarne « cette merde », pourquoi cela sent si mauvais, qui l’a générée, qui la tolère et la permet, qui en a fait son mode de vie. L’écrivain est l’individu qui analyse « cette merde » abstraite que l’homme politique répand sur les cartes. Et c’est dans cette leçon d’eschatologie méticuleuse et parfois déplaisante, dans ce délicat processus d’exploration des détails qui font que « cette merde » est ce qu’elle est et pas autre chose, que l’écrivain trouve sa récompense essentielle : la dignité.
Pervertir la réalité au moyen du langage, parvenir à faire en sorte que le langage dise ce que la réalité nie, voilà l’une des conquêtes majeures du pouvoir. La politique devient ainsi l’art de déguiser le mensonge.
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Quand Platon conçut sa République parfaite, il plaida en faveur de l’expulsion des poètes. Le poète génère le désordre en ayant recours à un langage qui est par définition ambigu. Platon inaugurait ainsi une profession de foi qui perdure aujourd’hui : la méfiance que l’artiste inspire au puissant
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« Mon Dieu, dit Zoe. Regarde ça. »
Nous sommes tellement habitués à ce que le téléviseur soit notre intermédiaire avec les événements extérieurs, notre messager et notre maître de cérémonie, le Big Brother qui voit tout, que, lorsque l’horreur pénètre dans notre maison à travers cet écran, elle nous semble aussi inopportune que celle qui nous assaille devant un grave carambolage ou lorsqu’on visite un pavillon pour schizophrènes. De fait, de nombreux adultes ne connaissent la mort qu’à travers le téléviseur, comme les esclaves de la caverne ne connaissaient les objets qu’à travers leur reflet sur le mur.
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À peine avais-je raccroché d’avec Uribesalgo, ma mère a téléphoné. A la deuxième sonnerie, j’ai entendu Zoe s’extirper du lit puis, debout à la porte du bureau, me demander la raison de tout ce bruit.
« Qu’allons-nous devenir, mon fils ? » disait au même moment ma mère, avec cette capacité qu’elle a de me laisser, chaque fois, bouchée bée face à son manque absolu de réalisme.
Je pouvais l’imaginer à l’autre bout de la ligne, déjà habillée, coiffée, parfumée et maquillée comme si elle était sur le point de recevoir de la visite, entortillant de ses doigts nerveux le fil du téléphone tout en surveillant d’un œil expert la température des œufs pochés, profondément ébranlée par ce qui venait d’arriver, mais, dans le même temps, déjà aveugle et surtout sourde à ce qui adviendrait les jours suivants.
Ma mère est l’une des personnes les plus contradictoires que je connaisse et, paradoxalement, elle est capable de concilier tout ce qui se passe autour d’elle dans une unité de sens indestructible.
Pour elle, comme pour n’importe quel croyant, les faits ne répondent pas à une relation de cause à effet, l’ici et le maintenant sont des entités immuables, aussi anciennes que le paradis de la Genèse, le fratricide de Caïn et le prépuce d’Onan, et il n’y a pas lieu de discuter autour de certains principes émanant d’une sagesse mystérieuse, des principes évidemment intangibles et incontestables, jamais rattachés à aucun texte moral, politique ou législatif propre à l’État, la communauté ou la famille, mais toujours réductibles, de son point de vue, à une genèse unique, une sorte d’herméneutique vénéneuse en vertu de laquelle elle parvient indéfectiblement, à la manière de l’esprit jésuite, à mettre la raison de son côté.
Il est incroyable, alors que nous n’avons plus le moindre doute sur ce qui est réellement arrivé ce jour-là, que ma mère, qui avait soutenu sans réserves ni hésitations l’attitude du gouvernement au pouvoir face à l’invasion de l’Irak, la même personne qui m’a demandé à ce moment-là, avec une angoisse théâtrale : « Qu’allons-nous devenir ? », s’obstine aujourd’hui à me répéter cette question chaque fois que quelque misérable fait trembler un coin de la planète avec une bombe fixée à sa ceinture.
Entre les faits et leur interprétation, il existe pour elle, comme pour beaucoup d’Espagnols, une brèche infranchissable, à la mesure exacte d’une idéologie déterminée, dans laquelle on ne peut que se précipiter, car la contourner – par l’argumentation – ou la combler – par l’expérience – sont choses impensables.
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Quand le premier train a explosé, déversant sur nos petites vies courageuses un flot de sang, de colère et de peur, j’étais assis devant ma vieille table en frêne d’Australie et je corrigeais un jeu d’épreuves des Démons de Fedor Dostoïevski.
Je m’appelle Vladimir – jeune, mon père était passionné par la révolution russe – et je suis correcteur. Et j’oserai affirmer que Fedor Dostoïevski est mon écrivain préféré. (Peut-être que dix ans plus tôt, quand j’avais vingt-cinq ans, j’aurais affirmé que mon écrivain préféré était Albert Camus, et probablement que dans dix ans, quand j’en aurai quarante-cinq, je pencherai plutôt pour Stendhal ou Platon.)
À 7 h 37 le jeudi 11 mars 2004, je me trouvais donc, tout frais, après avoir pris mon petit-déjeuner, une belle lumière d’hiver pénétrant par la fenêtre comme un trait de givre, en train de lire un jeu d’épreuves composées en caractère typographique bembo, corps 12, au moment où Alexeï Kirilov avoue à Piotr Verhovenski que « la peur est la malédiction de l’homme », quand le premier train a explosé et que soudain nos compteurs ont été remis à zéro.
Aujourd’hui, évidemment, alors que tant de choses sont arrivées depuis et que les émotions ont été passées au tamis de la réflexion, tout apparaît de façon moins confuse, plus aisée à comprendre, mais, durant les heures que décrit cette chronique, nous tous qui étions là (et je crois que tout le monde, d’une façon ou d’une autre, était là) avons senti que les temps heureux avaient touché à leur fin.
Bien sûr, les temps heureux s’approchaient de leur fin depuis déjà pas mal de printemps, et périodiquement, comme si nous avions besoin de corroborer l’idée subtile qu’Alexeï Kirilov exposait à Piotr Verhovenski pendant que les premières bombes transformaient l’acier des trains en lave brûlante et les os des victimes en poussière ; périodiquement, donc, bien sûr, nous sentons la nécessité de nous infliger les uns aux autres de quoi nous rappeler, sans laisser de place au doute, que, un beau jour, tout foutra le camp, tout simplement.
Nous les hommes, sans exception, noirs et blancs, heureux et tristes, intelligents et idiots, nous sommes ainsi : nous arborons des drapeaux que d’autres détestent, nous adorons des dieux qui offensent nos voisins, nous nous entourons de lois qui insultent ceux qui nous entourent. La conséquence est facile à déduire : de temps en temps, sous le soleil ou sous la neige, en démocratie ou sous l’égide de quelque fasciste déguisé en inspecteur des finances, nous venons écraser des avions sur des gratte-ciel, nous bombardons des pays déjà dénués de toute richesse et nous nous embarquons dans des croisades aussi atroces qu’injustes.
Quand le téléphone a sonné, aux environs de 8 h 50, j’avais mis de côté les pages lumineuses, fascinantes dans lesquelles Alexeï Kirilov expose les raisons de son suicide imminent, et j’étais sur le point d’allumer la première cigarette de la journée. À ce moment-là, évidemment, je ne savais encore rien, et c’est seulement a posteriori, aidé par mon bagage littéraire et mon inclination pour la fiction, que j’ai pu donner une forme artistique à cette première impression, que je n’eus en réalité que soixante-dix ou quatre-vingts minutes après cet instant où le premier train a imprégné l’air de Madrid d’une odeur de viscères.
« Tu es au courant ? »
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