- Un verre de cidre ?
- Ah ! Les jeunes ! Buvez ça, madame Le Bihan, ça vous remettra !
Il vaut pas celui du Morbihan, mais faut se contenter.
Riches comme ils sont ici, je crois qu'ils mettent pas assez de pommes.
Nous, une tonne pour trois barriques !
Il faut ça pour du vrai pur jus.
Ou bien ils donnent pas le meilleur aux réfugiés ?
Des bonnes gens, pourtant !.....
Elle excuse, essaie de comprendre, mais l'immobilité de Saint-Charles l'a si bien façonnée qu'elle croirait volontiers Fine égarée par le printemps.
A moins que tous les lorientais ne soient des têtes folles !
Comment la réfugiée pourrait-elle lui expliquer que le premier soleil chez elle, communique une ivresse toute méridionale, et que l'atmosphère d'un port, à la population instable, n'a rien de commun avec celle d'une petite ville où tout le monde se connaît, s'épie ?
Qu'à Lorient on se soucie peu du voisin, qu'on reste plein d'indulgence pour ses sottises et que chacun prend son plaisir en toute innocence ?.....
- On dit que les bretons sont tristes, qu'il pleut toujours, chez vous !
- D'abord, c'est pas vrai qu'on soit tristes et ensuite, Lorient c'est spécial.
Jamais on s'ennuie. C'est pas beau ?
Sûr que les femmes se coiffent pas comme les frégates du Finistère !
Peut-être c'est pas historique, comme ils disent à Vannes, mais si un riche de Vannes ou de Quimper veut s'amuser, c'est à Lorient qu'il vient.
Nous on reste à domicile.
Il y a la côte, la ville, le soleil autant qu'à Nice, vu qu'on a les mimosas, les camélias, les palmiers comme ceux de la haute, et puis le caractère pour profiter de la vie....
Des coiffes, des coiffes. Aussi loin que flâne le regard de madame Le Port, les chapeaux noirs disparaissent sous le vol blanc des mousselines où s'accroche la lumière.
L'automne commence à moucheter d'or la file des tilleuls, immobiles après deux jours de tourmente, d'eau en trombes abattue.
Un peu de brise porte, haché, l'écho des manèges de la victoire.
Par vague les hauts-parleurs dominent les airs que déforme le vent, et la rumeur des autos-tampon....
Mais ce vide ?...Ils ont abattu le théâtre !
Le haut mur des quais, effrangé en balustrade sur le ciel, n'était que l'arrière de l'édifice, mais la jeunesse avait connu là des heures inoubliables.
Ils ont abattu le théâtre !
Les jeunes filles révolutionnaires, racontait le grand-père, y avaient prêté le serment de n'épouser que des "sans culottes", quelles dégoûtantes, les filles de ce temps-là !
Il parlait aussi de Marie Dorval, une toquée, née à Lorient, pourtant, et qui venait pour le drame avec son ami, Alfred...commen déjà ?
Mais ce que Fine avait vu de ses yeux, c'était Sarah Bernardt débarquer de Belle-Isle, et son bateau à elle, "l'Aiglon".
Il y avait du peuple sur le quai, oui !......
Plus de rivalité, aujourd'hui, entre Port-Louis et Lorient.
Mais la cité au nom royal, de l'autre côté du Blavet, servit, au début, de résidence aux responsables de la Compagnie des Indes, cependant qu'à Lorient grouillait la populace....