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Critique de chichi_zibest


Ce roman retrace la vie de Rudolph Lang, un Bavarois né en 1900, qui finira comme Colonel chez les SS, choisi par Himmler pour ses qualités d'ordonnateur de l'extermination d'êtres humains dans les camps de la mort. Robert Merle précise dans sa préface que « La première partie de mon récit est une re-création étoffée et imaginative de la vie du Rudolph Hoess, d'après le résumé de Gilbert (un psychologue américain qui l'interrogea lors du procès de Nuremberg). La deuxième retrace, d'après les documents du procès de Nuremberg, la lente est tâtonnante mise au point de l'usine de mort d'Auschwitz. »
Ce livre s'empare d'une question fondamentale et délicate. Comment des hommes ont-ils pu à ce point aller dans l'horreur et sortir de leur humanité, s'abritant derrière leur devoir et l'obéissance pour justifier les crimes qu'ils ont commis ? Ces pages les plus sombres qu'a connu l'histoire, n'ont pu être écrites que parce qu'il existât des bourreaux. Robert Merle leur donne la parole, à travers son personnage fictif, dont la jeune existence s'inspire de la réalité de celle de Rudolf Hoess. On assiste à l'évolution de ce personnage étouffé par un père autoritaire et dévot, qui se révolte lorsqu'il se croit trahi par un prêtre, et dès lors ne croyant plus en la religion et ses valeurs. Lui, Rudolf, qui place la fidélité et le devoir au plus haut des vertus, et recherche un cadre dans lequel ces valeurs sont les premières, rejoindra l'armée allemande à 16 ans, fuyant sa famille, et trahissant la volonté impérieuse de son père récemment décédé.
Ce premier pas dans l'armée lors de la guerre des Dardanelles va l'entraîner peu à peu vers une affirmation de l'obéissance aveugle à l'autorité, au détriment de toute conscience et humanité. Les épisodes de la vie de Rudolf ne feront que confirmer cette évolution d'un homme qui se déshumanise peu à peu, pour ne devenir qu'un exécutant aveugle et sourd à tout amour ou charité, ne cherchant qu'a donner le meilleur de lui-même pour accomplir les tâches qu'on lui confie. Au gré de l'époque, il se verra rejoindre les SA, puis les rangs des SS où son zèle et son indifférence à tout malheur de son prochain fera des merveilles. Rudolf ne sera ébranlé que par son épouse, et surtout finira trahi par Himmler lui-même. Himmler, le chef de la Waffen-SS, qui préfèrera se suicider plutôt qu'assumer ses responsabilités dans l'holocauste, abattant la foi de Rudolf en la fidélité et le plaçant alors comme seul face à ses actes.
De tous les livres que j'ai lu, rarement un ouvrage n'a pu être si rare en mots, et si précis en idées et sentiments. J'ose à peine imaginer la difficulté de Robert Merle à représenter sur le papier les sentiments qui parcourent Rudolf, sans verser dans l'outrance ou la facilité d'un propos trop convenu. J'ai véritablement été saisi par la prouesse de l'écrivain, dès les premières lignes le lecteur est captif d'un roman dont l'intensité grandit subtilement à chaque page. Rudolf est un homme qui a soif d'absolu et d'exclusivité : le devoir et la fidélité sont des valeurs qui l'obnubilent, allant jusqu'à s'oublier lui-même car il ne construit pas lui-même son avenir : son avenir lui est imposé par ce besoin exclusif de répondre à cet impératif, il ne se voir exister que dans ce cadre.
On voit comment cet homme s'abandonne peu à peu dans l'obéissance, sans doute incapable d'être libre, il préfère être au service de chefs qui incarnent ses valeurs, quitte à se faire détester par ses semblables qui ne comprennent pas ce zèle et son manque d'empathie. Cette servilité permet à Rudolf de ne plus être responsable de ses actes, étant un rouage mécanique d'une machine destinée à supprimer des millions d'êtres humains.
Robert Merle place dans un cadre historique appuyé de nombreux faits parfois difficilement soutenables mais réels, les conséquences de la soumission à une autorité. Cette soumission qui devient aveugle lorsqu'un homme oublie son humanité, et sert d'alibi pour se dédouaner de toute responsabilité. Il démontre aussi et très simplement deux éléments fondamentaux :
l'absurdité des nazis : pour eux, leur victoire ne fait aucun doute, cependant il est impératif de supprimer les Juifs sinon ils supprimeront les nazis
« - Rudolf : (..) les Juifs sont nos pires ennemis, tu le sais bien. Ce sont eux qui ont déclenché la guerre. Si nous ne liquidons pas maintenant, ce sont eux plus tard qui extermineront le peuple allemand
- Elsie : mais c'est stupide, dit-elle avec une vivacité inouïe. Comment pourront-ils nous exterminer puisque nous allons gagner la guerre ? »
A cette question, exprimée par Elsie (une paysanne devenue la femme de Rudolf), Rudolf ne saura s'abriter que derrière « C'est un ordre ».
Enfin, Elsie demandera si Rudolf serait capable de tuer ses propres enfants, ignorant sans doute que la réponse est dans la promesse que tout SS se doit d'obéir à tout ordre, y compris celui de tuer sa famille. Rudolf, quelque peu ébranlé par la réponse qu'il va apporter, se contentera de dire ‘Naturellement'.

Pour conclure, ce livre est d'une sobriété et d'une force rares. Même s'il s'agit d'un roman, le lecteur est plongé dans l'Histoire, sans que jamais Robert Merle n'aille dans l'insupportable, faisant appel à l'imagination du lecteur pour se représenter les scènes qu'il suggère, et l'atmosphère lugubre et froide de certaines scènes. La puissance de cet ouvrage est d'aborder un sujet de toujours : jusqu'à quel point une cause est-elle soutenable ? A quel moment devient-on des Rudolf, des Elsie ? Qu'est-ce qui nous garde dans l'humanité ? Et ce qui peut nous en faire sortir…

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