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Critique de ABEDFranck


Je poursuis avec un grand intérêt mon approfondissement de l'oeuvre de Robert Merle. Et je pense que ce roman est fort instructif. Pour la trame historique de cet ouvrage, l'auteur choisit le thème bien connu de la littérature et du cinéma des Révoltés du Bounty. Il change le nom du bateau, des protagonistes, mais l'idée est là : tout commence sur le Blossom où le capitaine Burt se montre quelque peu tyrannique et cruel envers l'équipage. Après le meurtre volontaire d'un jeune matelot, des marins se rebiffent et provoquent une mutinerie qui réussit. Au cours de celle-ci Burt sera tué par l'un de ses officiers…



Le récit raconte ce qui a ou, plus exactement, ce qui aurait pu se passer après cette tragédie. Eh oui, le fait qu'un homme soit injustement tué reste à nos yeux une tragédie. La mort du matelot excuse-t-elle la mutinerie ? En tous les cas, elle l'explique aisément. le lieutenant Mason tue le capitaine car il n'a pas supporté cette mort et cette énième injustice envers les hommes d'équipage. Cependant, est-il légitime de rendre la justice soi-même ? Il existe parfois des cas de force majeure et des contextes défavorables qui peuvent décider un homme à franchir la ligne rouge - d'autant qu'un officier supérieur aura presque toujours gain de cause dans le cadre d'une cour martiale…



Le récit s'ouvre par une description du navire Blossom, pages vibrantes qui nous permettent de découvrir les principaux protagonistes de l'histoire : grâce au talent de conteur de Merle, nous vivons réellement l'ambiance si particulière qui règne à bord. Nous ne sommes guère surpris par les conditions de vie difficiles auxquelles sont soumis les marins, officiers compris. Toutefois, ces derniers bénéficient de différents avantages, comme par exemple une nourriture de meilleure qualité.



Les révoltés en viennent à prendre possession du bateau. Il convient alors de définir un plan. le leur se révèle fort simple : après avoir engagé des Tahitiens, ils décident - sous l'influence de Mason - de se rendre sur une île inconnue de l'Amirauté. Effectivement, les mutins désirent ne pas être retrouvés. A l'époque, les mutineries sont très sévèrement punies, plus lourdement encore si des officiers subissent des outrages ou la mort. Une île qui ne figure pas sur les cartes maritimes d'alors permet aux révoltés du Blossom d'éviter un jugement et la potence …



Une fois l'équipage au grand complet, après avoir débarqué les marins qui n'ont pas participé à la mutinerie, le Blossom finit par retrouver cette fameuse île qui doit leur permettre de finir leurs jours paisiblement. Les premiers problèmes surgissent rapidement : l'île parait trop petite, pour cette… toute petite colonie. de plus, elle semble beaucoup moins accueillante que d'autres îles du Pacifique. Enfin, et c'est peut-être le plus grand problème qui se manifeste : les matelots ne désirent plus appeler les deux officiers présents par les salutations d'usage. Ils ne veulent pas de cette hiérarchie, car ils estiment qu'elle ne repose sur plus rien de factuel, étant donné que leur vie militaire maritime est définitivement terminée.



Bien évidemment, Mason refuse cet esprit contestataire car il exige de maintenir, même dans les conditions si particulières dans lesquelles ils doivent tous désormais vivre, les codes de la civilisation. Pour simplifier, il veut dominer tous les autres membres du groupe en souvenir des conventions sociales du passé…



Par conséquent, Mason ne veut pas entendre parler de ce parlement démocratique institué par de simples marins. Il dédaigne se soumettre aux désirs de cette assemblée républicaine, lui l'officier de sa Gracieuse Majesté. Son adjoint, Purcell semble quant à lui moins catégorique. Il consent à siéger, mais pour établir une vraie démocratie.



En effet, et c'est probablement l'ironie coutumière de l'histoire démocratique : ce parlement ne prend pas en considération le vote des Tahitiens. L'ancien officier Purcell accepte la proposition plébéienne mais avec une idée en tête, plus précisément une stratégie purement politicienne : intégrer le parlement pour faire admettre aux parlementaires le projet d'intégrer les Tahitiens. En cas de réponse favorable, Purcell pourrait diriger librement le parlement parce qu'il aurait la majorité…



D'une manière générale, et pour simplifier encore, ce manque d'ouverture démocratique choque l'officier Purcell qui malgré tout renvoie dos à dos, les rigueurs compassées et dépassées de Mason et les manquements démocratiques des hommes d'équipage, ainsi que leur incapacité à se projeter dans le futur.



En fin de compte, le récit démontre parfaitement que, même à l'échelle microscopique d'une vingtaine de personnes, la démocratie n'apporte pas les résultats escomptés. Il y a toujours une personne qui domine l'assemblée, notamment par la force, la peur, la coercition, ou l'astuce. Ainsi, dans l'ouvrage, plusieurs scènes cocasses décryptent parfaitement ce mécanisme démocratique fonctionnant sur les non-dits et la crainte d'être exclu du groupe. Ce système provoque des répercussions dramatiques, d'autant plus vives que les gentils hésitent à avoir recours à la force.



Nous suivons donc pas à pas leurs découvertes, leur installation, leur volonté de profiter un maximum de la vie… Mais les relations entre les Européens et les Tahitiens finissent par se gâter. C'était prévisible, car les us et coutumes des deux groupes diffèrent totalement sur de nombreux points. L'équilibre se rompra quand il s'agira de distribuer des terres cultivables. Effectivement, les Tahitiens ne pratiquent pas l'agriculture, ayant pour habitude de se servir allègrement dans la nature. Cette dernière leur a toujours apporté tout ce dont ils ont besoin pour vivre, et bien plus. Pour être clair, ils ne connaissent pas le rationnement méthodique. Cette attitude pose problème dans un lieu où la production naturelle finira par rencontrer des limites pour nourrir tout ce beau monde. Les Blancs décident de s'attribuer plus de terrain au détriment des Noirs. Purcell trouve cela injuste et ce sera le début de la grande querelle…



De plus, les questions religieuses trouvent un écho encore plus important dans ce huis clos au coeur d'une nature magnifique. Entre le monothéisme des uns et le polythéisme voire le panthéisme des autres, il n'y avait guère d'entente possible, surtout si les détenteurs de l'ordre, ceux qui possèdent les fusils, n'incarnent pas la défense du Bien Commun…



L'oeuvre dépeint souvent des situations drôles, les dialogues expriment toute la complexité des rapports entre les êtres humains, et les descriptions nous plongent littéralement dans le contexte de cette île du Pacifique où tentent de vivre des gens forts différents. En définitive, la question demeure : comment organiser la vie en société, que ce soit sur une île ou sur un continent ?







Franck ABED
Lien : http://franckabed.unblog.fr/..
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