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Critique de soniamanaa


Un titre Célinien pour un pamphlet qui embrasse à plein mots les oubliés, les inutiles, les sans voix, les non essentiels.
Dans la vraie vie, (mais peut-être l'avions nous oublié), le 12 novembre 2019, Anas, un étudiant de science Po très engagé politiquement s'immolait à Lyon. Pourquoi? Parce qu'Anas triplait sa seconde année, et que, pour un étudiant boursier, c'était fatal. L'administration lui ôtait toutes ses aides. de précaire, sa situation est devenue impossible, et son geste indicible a été son dernier acte politique.
Marion Massena s'est inspirée de ce drame pour construire son roman.
Etudiants suicidés, agriculteurs pendus, travailleurs domiciliés dans leur voiture, ils sont des milliers à vivre de plein fouet cette crise qui n'en finit plus, qui s'auto génère, laissant à penser qu'on assiste à la fin de règne d'une société délitée et en perte d'avenir.
A travers les vies de trois personnages, l'auteure dissèque au scalpel et sans anesthésie les travers innombrables qui font que les individus ne font plus société, et que le vivre ensemble s'est transmuté en une religion de l'instant, aseptisée et souvent virtuelle.
Il y a Sabrina, jeune institutrice qui élève sa fille en garde alternée. D'origine maghrébine, elle a grandi pétrie de valeurs familiales. L'échec de son mariage, incompatible avec l'ambition dévorante de son époux, l'éloignement de sa fille qui préfère les ors paternels aux câlins de sa maman l'ont épuisée. Et c'est sans compter sur les 39 enfants de sa classe dont les parents jouent les divas effarouchées à la moindre mauvaise note quand ils ne sont pas totalement absents, aspirés par la course des jours laborieux ou trop maigres.
Il y a Paul, un gars un peu lunaire, thésard et prof de lettres qui fait le choix de tout plaquer. Il est trop "lent" pour le système et son aversion des réseaux sociaux fait de lui un paria. Il se fera boucher de super U en Haute Ardèche, enfin serein, mais inquiet de constater la désertification de son étal, les consommateurs puisant aux rayons des périmés plus qu'à celui de l'entrecôte fraîche.
Et puis, il y a Aurélien, paysan depuis 100 générations, vissé à ses terres, qui tente de s'adapter, mais qui ploie sous le poids des normes sanitaires et des quotas qui se multiplient, se contredisent. Il observe impuissant l'abattage de ses chèvres en espérant sauver ses châtaigniers.
Le roman se déroule en 2025. La présidente est en plein second mandat. Quand un étudiant s'immole devant l'Assemblée Nationale et que le pays s'enflamme, elle a à peine un battement de cil pour déployer l'armée et réclamer un retour à la peine capitale. Parce que son crédo, c'est que l'État n'est pas là pour torcher les mômes en crèches ou les vieux en Ehpad. L'etat n'a pas vocation à assister le citoyen. L'état, c'est le poids économique du pays, sa place dans les échanges mondiaux. Et si elle gère le pays à coup de prospectives, de calculs et d'algorithmes, c'est pour le bien d'un capitalisme affamé et sans scrupules.

Journaliste indépendante, Marion Messina laisse libre cours à son indignation face à un système en bout de course où agonise le petit peuple pendant que quelques uns s'enrichissent à outrance.
On peut lui reprocher de forcer le trait quand, par exemple, elle fait tirer à balles réelles les forces de l'ordre. C'est oublier que cela s'est produit en Hollande en novembre 2021.
On peut aussi sans doute lui reprocher l'abscence de trame romanesque, tant il est vrai que les trajectoires des personnages se croisent peu et ne racontent pas une histoire.
Je préfère pour ma part lui reconnaître courage et lucidité. Je préfère saluer une écriture punchline qui met effectivement les tripes sur la table.
Et de finir par cette phrase prophétique de Pasolini mise en exergue du livre.
"Cette civilisation de consommation est une civilisation dictatoriale. En somme, si le mot fascisme signifie violence du pouvoir, la société de consommation a bien réalisé le fascisme."
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