AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de frandj


L'action se passe probablement à la fin du IIIème siècle avant J. C., dans la ville de Sir, une cité-Etat imaginaire (mais très plausible) située au Moyen-Orient antique et gouvernée par une assemblée de Juges. Un jeune montagnard honnête et intelligent, Ordjeneb, arrive à Sir. Il devient le garde du scribe Asral, qui ne tarde pas à lui faire confiance.
Asral est chargé de la tâche de copier les écritures sacrées d'Anouher. Ce dernier, législateur quasi-légendaire - et considéré presque comme un dieu dans la ville - sert de ciment de la communauté, mais aussi de caution au conservatisme imposé à la cité par le gouvernement des Juges. Asral s'interroge sur ce texte, souvent obscur, rédigé dans une langue archaïque. Malgré les difficultés, Asral parvient à rédiger secrètement une nouvelle version des textes d'Anouher, écrite dans une langue qui soit compréhensible par ses contemporains.
Sur la personne d'Anouher, qui aurait vécu cinq siècles auparavant, on ne connait que des bribes difficiles à comprendre, comme « Un rideau cachait à l'oeil la moitié d'Anouher » - ce qui laisse croire… qu'il était borgne. Asral finit par trouver un vieux document authentique, mentionnant une peste qui ravagea Sir, suivie d'une révolte d'une partie des habitants de la cité. Et, ajoute ce document, après sa victoire « le peuple en grande fête institua Anouher sur la ville dans son entier ». C'est la première fois que le rôle historique du fameux législateur est évoqué. L'antique chronique mentionne aussi, d'une manière énigmatique, que « Anouher était en chacun d'eux [les gens du peuple] ».
Puis le récit s'accélère. Une tension croissante apparait dans la ville. le scribe est interné en tant que témoin d'un meurtre; la copie du texte rédigée clandestinement par le scribe est alors mise en lieu sûr par Ordjeneb. L'antagonisme entre confréries devient vif. Asral s'enfuit et se réfugie à Hénab, une cité voisine - et haïe - qui accueille volontiers les transfuges. La guerre civile ayant éclaté, une majorité des femmes de la ville choisit de partir et de s'installer en rase campagne. Une partie de la population, restée dans la ville à feu et à sang, demande qu'Asral revienne à Sir pour abolir le régime des Juges. Cependant, l'intéressé, qui a beaucoup réfléchi grâce à son étude critique des textes d'Anouher, se montre plus que réticent. Les diverses péripéties qui scandent la fin du roman importent beaucoup moins que la révélation finale de ce que fut réellement Anouher dans l'histoire de la ville et de ses conséquences sur la gouvernance de la cité. L'aboutissement de l'enquête sur le fameux législateur est évidemment la clé du roman.

Au début, le récit commence un peu paresseusement, mais l'intérêt augmente au moment où Asral (dont le personnage est bien campé) entre en scène: sa curiosité, son désir de comprendre et son petit côté "intellectuel" sont attrayants. Puis on suit l'évolution chaotique des esprits dans la ville: d'abord soumis et très conservateurs, les habitants de Sir aspirent ensuite à la liberté et aux changements. Il y a ainsi quelque chose d'étonnement moderne dans cette histoire, surtout dans sa conclusion. Cependant, le récit n'est pas sous-tendu par un "suspense" haletant et l'auteure ne cherche pas à tenir abusivement en haleine le lecteur.
L'aperçu sur la vie quotidienne dans une cité-Etat mésopotamienne, vue à travers les yeux d'Ordjeneb, est intéressant et vraisemblable. Mais ce n'est pas le sujet principal du roman et il n'est pas particulièrement détaillé - ce qui est peut-être dommage.

Les recherches d'Asral et ses dialogues avec le jeune montagnard suggèrent l'existence d'investigations pré-scientifiques dans les civilisations antiques. Mais l'intérêt principal du livre réside dans une réflexion approfondie sur les lois dans la cité: d'où proviennent-elles ? quel est leur vrai but ? au-delà de leur sens littéral, peut-on les interpréter, voire les amender ? ne sont-elles pas mises à profit par les dirigeants actuels pour asseoir leur pouvoir ? et les tenants d'un changement tirent-ils de leur aventure toutes les leçons utiles ?
Par ailleurs, le lecteur se trouve également interpellé par les implications religieuses des lois d'Anouher, qui sont d'autant plus prégnantes qu'elles sont d'origine obscure. On est captivé par les recherches obstinées sur la vraie source des dogmes religieux figés et soustraits au libre examen. Dans le conte de D. Meur, pourrait-on déceler une très discrète allusion à des situations actuelles ? on peut penser aux menées des tenants de la « charia », dans les pays musulmans, par exemple.

Le roman est occasionnellement entrecoupé par quelques brèves plongées dans un avenir lointain: le XIXème siècle après J. C. A cette époque, des archéologues prussiens effectuent les premières fouilles sur le site antique de Sir. Ces savants accumulent les trouvailles, y compris la copie secrète du scribe Asral; mais ils passent à côté de la vérité. Ce bond dans le futur est un procédé original et empreint d'humour.
Commenter  J’apprécie          20



Ont apprécié cette critique (1)voir plus




{* *}