Citations sur Les damnés de la Commune, tome 2 : Ceux qui n'étaient rien (23)
On sonna la retraite. Le drapeau de la Croix-Rouge fut hissé. En hâte, je m'approchai de la tranchée. J'eus un moment de terrible angoisse et de rage.
Nous relevâmes nos blessés et nos morts sous les balles. Les versaillais tiraient encore. Plus d'une fois, il fallut nous coucher en tenant dans nos bras notre précieux fardeau.
Au milieu de cette tuerie, nous étions trois femmes. La cantinière du bataillon des Vengeurs de Flourens et une autre qui fut grièvement blessée. Moi, j'étais la troisième. Le hasard m'a épargnée.
Nous avons puisé des forces nouvelles pour soutenir et aider nos malheureux amis. Tout nous manquait. Nous n'avions pas de bandes pour les pansements. Nous étions obligées de les faire boire dans de petites boîtes à cartouches.
Malgré tout, ces mutilés ne proféraient pas une plainte, pas un regret. Ils souffraient, mais ils avaient l'air content d'avoir repris le fort. Heureux de donner leur vie pour fonder une société plus juste et plus équitable.
Pour nous tous, République était un mot magique qui allait faire accomplir de grandes et bonnes choses pour le bonheur de l'humanité.
Du sommet de la butte, mon regard embrasse la ville.
J'ai dans les yeux ce peuple parisien, ce 18 mars 1871.
Il est là, devant moi, à s'agiter de toutes parts.
Il prend l'Hôtel de Ville, les administrations, les ministères, tandis que l'ancien monde décampe à Versailles.
Il croit avoir gagné, il a déjà perdu.
Il lui reste soixante-douze jours, pas un de plus.
Dans soixante-douze jours, tout sera fini, terminé, enterré. Il n'y aura plus rien, à peine l'espoir.
L'armée de Versailles va entrer dans Paris, massacrer, arrêter, condamner, fusiller, emprisonner, déporter, exiler, effacer.
Dans soixante-douze jours, il fera nuit.
Dans soixante-douze jours, il fera nuit.
Un siècle et demi plus tard, je sais tout cela.
Les Parisiens l'ignorent, ils y croient, ils espèrent, ils rêvent encore.