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Critique de Patsales


« Bondrée »: c'est ainsi que les francophones ont renommé « Boundary », aux confins du Maine et du Québec, zone boisée qu'un lac en son coeur rend propice aux évasions estivales en cet été 67.
« Boundary », c'est-à-dire « frontière », et c'est peu de dire qu'Andrée Michaud joue de tous les no man's land.
Entre le français et l'anglais: « Zaza racontait tout à Sissy, et vice versa. Elle ne croyait pas non plus à la possibilité que Sissy se soit enfuie avec Mark Meyer. Meyer était un imbécile, un prétentieux qui frenchait comme une limace. Elle l'avait essayé aussi, avant Zaza, après Zaza, qu'importe. Jamais Zaza ne serait partie avec this stupid guy, jamais sans le lui dire, never ! » (Soit dit en passant, j'adore ce verbe « frencher », embrasser à la française, avec la langue!).
Entre l'enfance et l'âge adulte, dans cette zone grise qui semble désormais ne plus avoir de fin et dont l'après-guerre signa l'acte de naissance, entre Zaza et Sissy, qui découvrent les joies du flirt et le pouvoir d'un corps aguichant et Andrée, prête à se vernir les ongles mais refusant de quitter ses chaussures plates qui permettent si bien de courir.
Entre le présent et la passé, puisque la mort de Zaza et de Sissy semble être la vengeance posthume de Pete Landry, trappeur misanthrope suicidé en mal d'amour, dont la cabane en ruine fait toujours flipper les âmes imaginatives.
Entre la fiction et l'autobiographie, quand la petite narratrice s'appelle Andrée et que le policier s'appelle Michaud. La romancière s'en explique en disant « Merci enfin à tous ceux et celles que j'oublie, à tous ceux et celles qui ont été là, près de moi, durant les trois années que j'ai passées à Bondrée, parmi lesquels il me faut compter ma mère, et aussi mon père, disparu depuis fort longtemps, depuis trop longtemps, pour m'avoir permis de connaître ce lieu qui a marqué mon enfance et, de ce fait, ne pouvait que devenir lieu de fiction. »
Et surtout entre la littérature blanche et la littérature noire. Si meurtres il y a, l'absence de dialogues, les pages d'atmosphère, la découverte d'un coupable assez peu vraisemblable risquent de décevoir les amateurs de pur polar. Mais si on aime lire pour être tour à tour bercé et exalté, il faut se laisser couler dans les eaux de Bondrée qui mêlent la nostalgie de l'enfance et la peur du passé, le désir et l'angoisse d'être aimé et protégé. « J'ai souvent repensé à cette soirée depuis, me demandant si quelqu'un nous avait réellement observées de loin, un homme, un chasseur de Tangara, mais je ne le saurai jamais, pas plus que je ne saurai si les images que je conserve de cette nuit ressemblent à celles qu'ont vues les chauves-souris ou si elles n'appartiennent qu'aux terreurs de l'enfance. Je me dis toutefois, quand je regarde la noirceur tomber à ma fenêtre, que la simple existence de ces images, que la simple persistance du craquement du bois sec dans mon souvenir attestent une forme de réalité que rien ne pourra jamais démentir. »
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