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Critique de Presence


Ce tome contient un récit complet, mettant en scène des Aliens, tels que créés par H Ridder Haggard, et filmé par Ridley Scott en 1979. Cette histoire de 47 pages de bande dessinée, est initialement parue en 1993, avec un scénario de Dave Gibbons, des dessins de Mike Mignola, un encrage de Kevin Nowlan, et une mise en couleurs de Matt Hollingsworth.

Sur une planète éloignée, avec une proportion d'eau, une capsule de secours du vaisseau spatial Nova Maru a atterri dans une eau peu profonde, en bordure de plage. À son bord se trouvent 2 rescapés : le capitaine Foss, et l'enseigne Selkirk. Ce dernier est un homme pieu qui se morigène pour avoir péché. le capitaine Foss est sérieusement blessé à l'oeil droit, et au bras droit. Il dispose d'une arme et de munition, ainsi que d'un kit médical, avec des antidouleurs.

Le Nova Maru était affrété par la Compagnie, et transportait un cargo de nature inconnue pour l'équipage, mais bien connu du capitaine (et des lecteurs). le séjour sur cette planète ne s'annonce pas de tout repos. L'eau n'est pas tout à fait potable. Les oiseaux ne sont pas vraiment comestibles. En plus le capitaine Foss est un peu paranoïaque sur les bords (et un peu au milieu aussi).

À l'évidence, Dave Gibbons est plutôt connu pour être le dessinateur de Watchmen d'Alan Moore, que pour être un grand scénariste. Néanmoins, il a réussi quelques récits sympathiques comme l'excellent Superman et Batman : L'Etoffe des Héros (dessiné par Steve Rude), ou encore le sympathique premier crossover entre Batman et Predator. Il se livre à un exercice un peu piégé : raconter une histoire dont le lecteur devine aisément le déroulement, à un ou deux détails près. Les pauvres survivants vont être confrontés à des Aliens bien baveux et acides, et tout à leur obsession d'assurer leur reproduction, sans beaucoup d'espoir de s'en sortir ou alors de justesse, et pas forcément en bon état. À partir de là, comment intéresser le lecteur ?

Le suspense se trouve réduit à se demander quand les survivants vont affronter les horribles bestioles, et comment ils vont finir dans d'atroces souffrances. le scénariste doit donc soit se montrer très imaginatif dans la construction de sa course-poursuite, soit créer des personnages attachants, soit donner une dimension métaphorique à l'extermination. le plus simple est bien sûr de mettre en scène les Aliens comme l'ultime manifestation de l'élan vital, une espèce toute entière dévouée à sa perpétuation, sans notion d'individualité, sans autre occupation qui pourrait divertir leur énergie vitale. Et en plus ils sont coriaces.

Dave Gibbons opte pour la mise en scène d'un individu à la personnalité particulière. Selkirk est un croyant, dans une foi qui n'est pas nommée, mais qui reprend à gros trait l'idée d'un Dieu unique ayant défini un code moral assorti de péchés. le lecteur a accès aux pensées de Selkirk par le biais de petites cellules de texte. Il constate rapidement que la foi de Selkirk est basique : une déité omnisciente, un Dieu de colère proche de celui de l'Ancien Testament. Selkirk doit respecter les commandements sous peine de se retrouver en Enfer.

Le scénariste a le bon goût de ne pas transformer Selkirk en un fanatique, mais il force un peu sur l'autocritique, et sur la propension à assimiler tout comportement à un péché. Il a aussi le bon goût d'éviter le rapprochement simpliste entre Aliens et Diable. le lecteur assiste donc aux bévues commises par Selkirk cherchant à survivre, et transgressant les interdits. Au départ, le lecteur se dit que Gibbons se montrera plus subtil avec la question de la survie sur une planète non adaptée à la vie humaine. Selkirk et Foss ne sont pas bien sûr de la composition de l'air qu'ils respirent, l'eau contient des trucs nocifs, et les animaux ont une chair incompatibles avec les estomacs humains. Mais cet aspect-là de la narration est vite oublié au profit de la course-poursuite.

À l'évidence, le lecteur intéressé par cette histoire l'est surtout parce qu'elle a été dessinée par Mike Mignola. C'est l'un des derniers récits qu'il a réalisé avant de lancer sa série Hellboy en 1994. Juste avant il avait collaboré avec Howard Chaykin sur le Cycle des épées (1991, encré par Al Williamson), puis Ironwolf : (1992, encré par P. Craig Russell). Ici il bénéficie de l'encrage très respectueux de Kevin Nowlan qui ne cherche pas à arrondir ses aplats de noir, qui ne cherche pas à rajouter des détails, là où Mignola a opté pour une simplification. Il n'y a que quelques traits parfois un peu plus fins que ceux qu'auraient utilisés Mignola qui peuvent trahir le fait qu'il ne s'est pas encré lui-même.

Tout au long de ce récit, le lecteur constate que la transition entre des dessins descriptifs de Mignola, et une approche plus expressionnistes est déjà proche d'aboutir au stade final. Les visages sont soient mangés par des gros traits figurant une ombre portée exagérée, soit plus esquissés que finalisés quand ils se retrouvent en pleine lumière, en particulier pour ce qui est des lèvres (2 gros boudins) ou des yeux représentés avec des gros traits, sans pupille visible. Les silhouettes sont assez massives, et taillées à grands coups de serpe. Tous les personnages n'ont pas encore les épaules tombantes, comme ça sera le cas par la suite chez cet artiste. Par contre, les ombres portées conduisent à des morphologies bizarres, à commencer par Selkirk qui semble avoir une poitrine un peu surdéveloppée, une fois sa chemise déchirée. Les petits traits qui marquent la peau de Dean neutralisent tout voyeurisme ou forme de séduction. Elle ne peut pas être réduite à un objet du désir, dans la mesure où Mignola la représente sans grâce (même la case où elle apparaît avec un marcel mouillé).

Par rapport à la série Hellboy, le lecteur constate que la densité d'informations visuelles reste élevée. Mike Mignola n'a pas encore pris le parti d'une épuration graphique systématique. Il représente les arrière-plans, soit avec des détails concrets, soit avec des formes tirant vers l'abstraction. Ce compromis dans les images assure un bon niveau d'immersion pour le lecteur, ce qui est plutôt agréable dans le cadre d'un récit de science-fiction.

Et les vraies vedettes de l'histoire ? Mike Mignola fait des merveilles pour leur rendre toute leur étrangeté, et leur dangerosité. Dans le cadre des comics, l'une des difficultés auxquelles se heurtent les dessinateurs, est de trouver comment conserver leur part d'horreur aux Aliens. Avec une bande dessinée, il n'est pas possible de jouer sur la fugacité de leur apparition, ou sur la soudaineté de leur attaque. le dessin reste sous les yeux du lecteur qui peut le regarder aussi longtemps qu'il le souhaite. C'est lui qui maîtrise le rythme de la lecture, par opposition au cinéma. La deuxième difficulté à laquelle le dessinateur est confronté, c'est l'apparence qu'il donne à l'Alien. Au vu du nombre d'images, il n'est pas possible d'aboutir à un niveau de détails similaire à celui d'Hans Rudolf Giger (l'artiste qui les a créés), et même si l'artiste disposait du temps nécessaire le résultat serait trop figé. Il reste la possibilité de jouer sur les textures comme le fit Richard Corben (voir Aliens: Alchemy), mais là encore trop de détails finit par banaliser ces créatures.

L'approche graphique de Mike Mignla constitue le juste milieu. Il peut représenter des Aliens à découvert, tout en leur conservant leur part de mystère, par l'usage d'aplats de noir mangeant une partie de leur silhouette ou le détail exact de leur morphologie. Il peut choisir de ne faire ressortir que quelques traits saillants évoquant leur silhouette. Il sait aussi tirer les surfaces noires de leur peau, vers l'abstraction pour leur donner une apparence conceptuelle. Avec cette histoire, Mike Mignola se révèle être un des artistes parfaits pour mettre en scène les Aliens sans rien perdre de leur horreur et de leur fugacité.

Dans ce court récit (47 pages), Dave Gibbons fait l'effort d'inclure des éléments particuliers pour éviter l'effet d'une histoire générique avec des Aliens. Il ne développe leur rôle comme incarnation pure de la perpétuation d'une espèce, les cantonnant au rôle de monstres horrifiques. Il choisit un personnage principal aux convictions religieuses bien ancrées, obligé de transgresser plusieurs interdits pour assurer sa survie. Son récit correct mais pas inoubliable bénéficie de la mise en images très personnelle de Mike Mignola. Cet artiste n'a pas complètement achevé sa mutation vers l'abstraction à base d'aplats de noir rocailleux, mais ses choix graphiques permettent de conserver tout le mystère des Aliens, et toute leur horreur souvent suggérée.
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