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Critique de Presence


Ce tome est le premier d'une nouvelle série. Il comprend les épisodes 1 à 5, initialement parus entre décembre 2013 et janvier 2015, écrits par Mark Millar, dessinés et encrés par Frank Quitely, avec une mise en couleurs de Peter Doherty (qui également réalisé le lettrage). Mark Millar a écrit une deuxième série en parallèle se déroulant avant ce tome : Jupiter's circle dessinée par Wilfredo Torres.

En octobre 1932, au Maroc, Sheldon Sampson essaye de convaincre un capitaine de bateau de l'emmener sur une île non répertoriée qu'il a vue en rêve. Il est accompagné de 6 personnes. le capitaine finit par accéder à sa demande. En 2013, Brandon Sampson est en train de siroter un verre dans un bar avec un pote quand il se fait aborder par 2 groupies. Il leur donne rendez-vous dans les toilettes de l'établissement.

Dans le Vermont, Utopian (Sheldon Sampson) intervient avec une demi-douzaine de superhéros pour neutraliser le supercriminel Blackstar. La victoire est acquise grâce aux superpouvoirs de Walter Sampson (le frère de Sheldon). Ailleurs Chloe Sampson (la fille de Grace et Sheldon) s'envoie en l'air avec Hutch.

Impossible de résister à l'attrait d'un comics écrit par Mark Millar bénéficiant des dessins de Frank Quitely. Oui, mais est-ce que c'est bon ? C'est très bizarre. Ça commence comme un récit de pulp, où de riches hommes blanc (il y a quand même une femme) partent à la recherche d'une île où se trouve une force mystérieuse qui les attire, pour leur confier des pouvoirs. Ça fait quand même très cliché typé d'un autre âge, et pas très convaincant, ce concept d'élus (des américains bancs, bien sûr). Millar donne à nouveau l'impression d'écrire pour un lectorat bien choisi, de flatter le marché des États-Unis, de le caresser dans le sens du poil pour mieux leur fourguer sa camelote.

Ça ne s'arrange pas beaucoup avec cette deuxième ou troisième génération de superhéros qui ne pense qu'à tirer profit de leurs capacités extraordinaires, en devenant des célébrités, et en faisant fructifier leur renommée, par le biais de juteux contrats avec des sponsors. Ce n'est pas la première fois que Mark Millar sert cette idée à ses lecteurs. Arrivé au troisième épisode, Brandon se révolte contre l'autorité de papa Sheldon, en piquant une grosse colère et en faisant une grosse bêtise, comme le premier rebelle sans cause venu.

Mark Millar ressert au lecteur, ses provocations habituelles, déjà utilisées dans plusieurs de ses oeuvres précédentes. Oui, mais d'un autre côté, il ne s'attarde pas dessus, ou il se moque de lui-même. C'est ainsi qu'un autre personnage fait observer le caractère "conte de fée trop beau pour être vrai" de ces pouvoirs confiés à une poignée d'individus pour sauver les États-Unis des retombées de la crise économique de 1929. le fil narratif sur la célébrité monnayée ne dure pas très longtemps, et l'intrigue passe à autre chose. La grosse colère de Brandon semble quand même forcée (surtout quant à l'acte irréparable qu'il commet), mais là encore Millar passe à la suite, sans se vautrer dans sa provocation.

Du coup le lecteur finit par avoir l'impression que le scénariste égrène ces scènes, comme autant de points de passage obligé pour faire rapidement avancer son intrigue dont le coeur se trouve ailleurs, plus loin. le ressenti est alors assez étrange : c'est du déjà lu, mais vite chassé par l'idée suivante, aussi connue et sympathique, avec une progression de l'intrigue très rapide. Finalement le lecteur n'en tient pas trop rigueur à Mark Millar, parce que la suite arrive vite et que cette enfilade de situations convenues finit par former une progression narrative impressionnante, entraînant le lecteur toujours plus loin. Alors, on peut grimacer en voyant le revirement soudain et pas toujours bien motivé de certains personnages (Brandon, Hutch), ça coince un peu du fait de transitions elliptiques trop soudaines. Mais ça passe quand même du fait d'un rythme soutenu, et du renouvellement des idées, l'intrigue étant nourrie rapidement par les suivantes, l'une chassant l'autre.

De son coté, Frank Quitely assure un spectacle à la fois élégant et efficace. Il est dans une forme éblouissante, avec un investissement de chaque case. Dès la couverture, le lecteur apprécie la morphologie normale des 2 personnages, les yeux un peu trop maquillés de la demoiselle, son aspect Lolita gothique. Pendant ces 5 épisodes, le lecteur côtoie des personnages hauts en couleur, avec des apparences très faciles à mémoriser, sans qu'elles ne soient caricaturales. Certes les hommes ont tendance à avoir un torse volumineux, et à être un peu plus grands que les femmes qui, elles, sont plus fluettes. Cependant le portrait de Sheldon Sampson en patriarche est des plus convaincants. L'apparence de Brandon Sampson en jeune rebelle emporte immédiatement l'adhésion du lecteur.

Rapidement le lecteur constate que Quitely construit ses mises en scènes de manière à conserver un intérêt visuel dans la narration, même quand Millar n'a pas été très prévenant en développant une conversation statique (sans changement de lieu, sans action) sur plus d'une page. Toujours, avec ce même regard critique, il constate aussi que les arrière-plans contiennent des informations visuelles sur le lieu où se déroule la scène, ou sur ce que font les personnages secondaires, même pendant les affrontements physiques. On est donc en présence d'une narration visuelle étoffée.

Au fur et à mesure des séquences, le lecteur constate que certains visuels lui restent en mémoire ; il peut s'agir de choses très diverses et variées. Dès la première page, il apprécie la manière dont Grace Sampson porte sa chemise d'homme, sans sexualisation, avec un port altier qui atteste de sa place dans cette équipe d'explorateur. le dessinateur représente Sheldon Sampson comme un patriarche à la carrure impressionnante, une force de la nature indépassable. le lecteur pense au Superman de Kingdom Come (de Mark Waid & Alex Ross), en plus strict, un portrait très réussi.

En termes de langage corporel, la façon dont Brandon est vautré sur le canapé dans le bar en dit long sur son assurance, sa haute estime de soi, et son arrogance. Dès ces 2 pages, le lecteur a envie de lui en coller une, avant même de se rendre compte à quel point il est imbu de sa personne. le face-à-face entre Hutch et les 2 hommes de main dans un bar donne à voir au lecteur, la tension des hommes de main convaincus qu'ils auront le dessus avec quand même un doute insidieux, et l'assurance calme d'Hutch. le face-à-face entre Sheldon Sampson et Hutch est une leçon de direction d'acteur, confrontant l'assurance que donne l'expérience, au refus de se laisser embobiner, tout en étant respectueux.

En termes de décor, Walter Sampson recrée une délicieuse plage, avec ses cabines pour se changer, tout ça au profit de Blackstar, et du lecteur qui sent comme un parfum de vacances. En rapport avec l'île, l'artiste donne vie aux brins d'herbe avec un minimum de traits, pour un effet animé. Les couloirs de la Maison Blanche sont à la fois austères et imposants.

Pour ce qui est de l'ameublement, le lecteur constate l'investissement de l'artiste quand il se rend compte qu'il peut réassembler les morceaux du plateau de verre de la table basse, cassé par la chute de Chloe. Quitely ne se contente pas d'accoler quelques morceaux de forme hasardeuse, il a fait l'effort de les concevoir en gardant à l'esprit la géométrie initiale dudit plateau.

Frank Quitely est tout aussi impressionnant dans sa manière de représenter la violence, sans rien occulter de sa dimension horrifique. Il sait souligner discrètement la barbarie des affrontements physiques, de telle sorte qu'ils ne puissent pas être réduits à un spectacle de l'ordre du divertissement et que le lecteur ait conscience des conséquences destructrices sur les corps.

Le tome se termine avec la reproduction des couvertures variantes au nombre de 13, parmi lesquelles celles de Bryan Hitch (*5) sont de toutes beauté.

Ce premier tome commence par déconcerter le lecteur qui voit Mark Millar accumuler les séquences dans lesquelles il revient sur ses marottes préférées concernant les superhéros. Il n'y a pas de nouveauté, mais il n'y a pas de lassitude car il ne tire pas à la ligne. Ces situations perfectionnées par Millar lui-même bénéficient des dessins aussi expressifs que subtils de Frank Quitely qui permettent qu'elles expriment leur saveur et leur sens, sans tomber dans les stéréotypes déjà vus. de page en page, le lecteur s'aperçoit que l'enfilade de ces séquences permet aux créateurs de se reposer sur leurs sous-entendus pour avancer rapidement dans leur intrigue en se reposant sur des ellipses, pour parcourir un chemin impressionnant. Les personnages acquièrent de l'épaisseur, par leur comportement et leurs motivations. L'intrigue générale dépasse les repères habituels des récits de Millar pour se prolonger plus loin.
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