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Critique de PatriceG


Pendant que Paris, ou la France comme on veut, s'enfonce dans la bêtise et autre "chicounegounia", en regardant les magnifiques livres brochés jaune orangé cadmium de chez Buchet /Castel desquels je ne peux me soustraire qui ornent ma bibliothèque, je veux parler de la Crucifixion en rose Sexus, Nexus, Plexus, de Henry Miller, parus en 1968 - époque dont on aurait dit qu'il soufflait comme un vent de liberté -, je n'ai pu m'empêcher de les toucher, de les feuilleter, de les sentir même sans masque, de rappeler au bon souvenir de ma jeunesse de les avoir lus avec frénésie et rebellion , et d'imaginer la fierté du brave Henry qui a réalisé là son rêve en ayant pu faire son pavé qui consacre une vie d'écrivain qui en rêve naturellement. Je me serais bien mis à les relire tout de suite avec l'entrain de mes jeunes et insouciantes années, mais la lecture de 1700 pages tout de même m'aurait poussé à modifier mon programme de mars, bien qu'on nous dise qu'il faut rester confiné. Mon esprit vagabondant avec un peu de nostalgie, s'est alors porté sur "Jours tranquilles à Clichy", format de dix fois moins de pages mais que je considère comme un chef d'oeuvre. Je me souviens de l'avoir lu d'une traite. Certes on n'est pas éloigné d'un érotisme torride, mais je n'y ai pas trouvé ni vulgarité, ni de choses à ne pas dire, car on a toujours l'impression que le brave Henry au delà de ses aventures érotiques donne d'abord rendez-vous avec la littérature, la manière bien à lui, singulière, de jeter un regard de l'intérieur presque physique entrecoupé de ses réflexions sur le monde qui l'entoure qui l'étreint avec pour le coup une sobriété non pas dans le style qui est lyrique mais dans son essence même faite de sagesse, ce qui est pour le moins curieux. J'ai lu ce petit chef d'oeuvre d'une traite disais-je, mais je pense que Henry aussi a dû l'écrire d'un jet tellement la narration est fluide, le verbe inspiré. Plutôt que de chercher mes mots, ce n'est nullement besogneux, voilà. Et j'adore toujours l'entrée en matière si je puis dire de Henry, elle est absolument inspirée, comme celle d'un peintre - peintre qu'il était d'ailleurs - qui va passer une journée une nuit sans pause casse croute que l'état de grâce empêche, et qui sait qu'il n'aura pas deux fois l'occasion d'attaquer la veine heureuse qui se présente à lui comme un moment évanescent et indicible de la vie . J'adore aussi son rapport au langage, il n'est jamais pédant mais il aime les mots, il les sert avec un raffinement exquis, dans la trilogie particulièrement ..

Alors pour étayer mes dires, je n'ai pas d'autre choix que d e livrer au lecteur un extrait du début de "Jours tranquilles à Clichy" évidemment :
"J'écris, la nuit tombe et les gens s'en vont dîner. Ce fut une
journée grise, telle qu'on en voit si souvent à Paris. Tout en
faisant mon tour dans le quartier, question de m'éclaircir
les idées, je ne pouvais m' empêcher de penser à l'énorme contraste qu'il y a entre ces deux villes (New York et Paris). C'est la même heure, une heure semblable, et pourtant, même le mot gris qui fit surgir en moi cette association d'idées, n'a rien de commun avec ce gris qui, à l'oreille d'un français, peut évoquer tout un monde d'idées et de sensations. Il y a longtemps, lorsque je déambulais dans les rues de Paris, m'attardant aux aquarelles que l'on voyait dans les vitrines, j'étais déjà sensible à cette curieuse absence de ce que l'on dénomme le gris de Payne en peinture. Je fais cette remarque parce que chacun le sait, Paris est essentiellement une ville grise. Je le mentionne parce que, dans le domaine de l'aquarelle, les peintres américains usent à l'excès et d'une manière obsessionnelle de ce gris préfabriqué. En France, la gamme des gris paraît sans fin ; ici, l'effet même du gris est perdu.."
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