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Critique de Tricape


le confinement imposé en ce printemps 2020 par le coronavirus m'offre le plaisir de relire cet ouvrage de référence.
Après avoir vécu en France pendant neuf ans, Henry Miller part en 1939 pour Corfou où l'invite un de ses amis, l'écrivain britannique Lawrence Durrell. Henry a quarante-huit ans et va rester une année à parcourir la Grèce. La Seconde Guerre mondiale couve, mais les bruits de bottes n'atteignent pas le voyageur qui leur fait la sourde oreille jusqu'à ce qu'il soit contraint de rentrer aux États-Unis qu'il avait espéré quitter pour toujours.
Ce livre plaira à tous ceux qui ont eu la chance de visiter Athènes, Corinthe, Delphes, Mycènes et autres lieux. Il suscitera chez les autres une forte tentation d'entreprendre, dès que cela sera possible, le pèlerinage aux sources enchanteresses de nos racines culturelles.
Il faut dire que Miller tombe "fou dingue" sous le charme de la Grèce, de ses habitants, ses paysages et ses sites. Avec des propos dithyrambiques, il nous fait partager son enthousiasme endiablé, fougueux, presque démesuré, pour ce qu'il découvre être un autre mode de vie et une terre où les hommes et les dieux vivent en harmonie.
Son vocabulaire est d'une grande richesse sans être pédant et ses réflexions sont servies par des expressions poétiques sans affectation. Ainsi, nous parle-t-il du théâtre d'Épidaure comme d'un "bol de silence"… Il considère les ruines qu'il contemple comme des lieux symboliques, le lieu véritable se trouvant dans le coeur de l'homme. La Grèce devient pour lui comme la manifestation, la révélation de ce qui lui est profondément intime ; il me fait soudain penser à Chateaubriand lorsqu'il écrit : « Des choses depuis longtemps oubliées me revinrent avec un clarté terrifiante. Je n'aurais su dire s'il s'agissait de souvenirs de lectures au temps de mon enfance où si je puisais à même la mémoire universelle de l'espèce ».
Les impressions des voyageurs sont parfois roboratives ; ce n'est pas du tout le cas ici. Miller nous offre des portraits savoureux et des dialogues fort alertes. Ainsi, quand il corrige une Française qui lui vante les charmes de la Normandie, prend-il des airs de Cyrano et la mouche vertement en opposant aux jardins entourés de murs et aux jolis petits vergers le paysage rugueux et lumineux que traverse un berger avec son troupeau et sa flûte millénaires.
Mais le colosse me direz-vous, que vient-il faire dans l'affaire ? Ce colosse est l'individu le plus humain qu'il ait jamais rencontré, celui avec lequel l'entente est la plus profonde qui se puisse imaginer. Georges Katsimbalis dépasse Henry d'une large tête, tient « des discours à galvaniser les morts », est une espèce de Gargantua du verbe, qui épice ses harangues d'herbes attiques, les éclaire de fulgurances orageuses, et fascine Henry Miller jusqu'au abords de l'hypnose. Dès lors, le lecteur pardonne à l'auteur de faire l'éloge de son ami en termes hyperboliques.
Vous comprendrez qu'avec un tel compagnon à quel point le voyage est envoûtant ! D'autant que d'autres personnages, bientôt amis, viennent vous accompagner dans ce pèlerinage initiatique comme Georges Séféris (qui recevra le Prix Nobel de littérature en 1963).
Épouvanté (déjà en 1940) par la dimension inhumaine du monde, Henry Miller nous offre cette formule pleine d'à-propos en ce printemps 2020 : « Il faut que le monde redevienne petit, comme le monde grec autrefois. Assez petit pour inclure chacun de nous ».
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