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Critique de Musa_aka_Cthulie


Écrite en 1955, la même année que Je me souviens de deux lundis, Vu du pont a connu une notoriété et une postérité bien plus reluisantes que sa comparse. Pour ma part, je préfère nettement la première.


L'intrigue prend place dans le quartier des docks, situés sous le pont de Brooklyn. Les conditions de travail des dockers , voilà un sujet qui a d'ailleurs marqué les années cinquante aux États-Unis, particulièrement au cinéma, et notamment avec Sur les quais de Kazan. Mais pour Miller, c'est surtout un milieu qui fait surgir une tragédie individuelle : celle d'Eddie, docker, immigré italien, marié avec Béatrice, élevant sa nièce Catherine et accueillant chez lui les cousins de sa femme, arrivés clandestinement aux États-Unis pour essayer de trouver du travail et ne plus crever de faim. Eddie nourrit une passion grandissante - et non partagée - pour sa nièce, devenue une jeune femme, passion qu'il ne s'avoue pas et à cause de laquelle il va piétiner tous ses principes moraux. Il va donc s'enliser volontairement dans un bourbier, se lancer dans une voie qu'il sait sans issue. La fin rappelle, plus que le reste de la pièce, les tragédies grecques, par le sursaut de volonté d'Eddie à retrouver son honneur perdu.


Pour ce qui est de la construction de la tragédie contemporaine, c'est très bien conçu, comme tout ce que j'ai pu lire de Miller en théâtre. Mon souci, c'est qu'Eddie ne m'a pas tellement intéressée, et il m'est difficile de comprendre pourquoi. Disons qu'à côté de Willy Loman, pour rester chez Miller, ou à côté d'Ajax, pour aller carrément du côté des héros grecs cherchant à recouvrer leur dignité, je trouve qu'il fait assez pâle figure. Non pas parce qu'il est un simple docker (Willy Loman est lui-même un simple commis voyageur), non pas parce qu'il est antipathique (si on veut s'en tenir à des personnages aimables, autant arrêter tout de suite de lire), et pas non plus parce que son obsession et son obstination relèveraient d'un manque de réalisme. J'ai la sensation qu'il manque d'épaisseur psychologique ; que, peut-être, Miller ne va pas assez loin pour que la tragédie prenne son plein essor.


J'ajoute que les personnages féminins sont étrangement ambivalents, Catherine n'ayant pas une attitude toujours très claire avec Eddie, Béatrice passant de l'amour et de la compréhension pour sa nièce à la haine abjecte. Ce qui ne me dérangerait pas si, d'une part, je n'avais pas déjà noté une forte note de misogynie dans Les sorcières de Salem, et si, d'autre part, les personnages masculins - hors Eddie - de Vu du pont montraient des caractéristiques équivalentes. Bon.


Dernière chose : même si l'utilisation d'un narrateur extérieur au drame est intéressante, j'ai trouvé la pièce moins novatrice que Mort d'un commis voyageur ou Je me souviens de deux lundis.



Challenge Théâtre 2018-2019
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