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Critique de ryohei11


On retrouve Kanae Minato notre romancière d'Hokkaidō pour son premier roman policier Les assassins de la 5e B (告白、kokuhaku). En 2008 il paraît au Japon pour obtenir le premier prix au classement des meilleurs romans policiers de l'année ; en 2009 il remporte le prix des librairies du Japon. Il rencontre un franc succès auprès des lecteurs puisqu'en 2010 il dépasse les 2.100.000 ventes. Il sera superbement adapté
au cinéma en 2010 par Tetsuya Nakashima. En France, il paraît en 2015 dans les éditions du Seuil. Pour sa première oeuvre, Kanae Minato a su susciter l'intérêt du public du fait des problématiques sociétales japonaises qu'elle y aborde. À l'image d'un chef d'orchestre, elle manie avec dextérité les voix dissonantes qu'on entend dans ses romans pour y faire affleurer une harmonie inattendue.
Moriguchi Yuuko, professeure au collège S, demande à sa fille de quatre ans de l'attendre dans l'infirmerie de l'école. Une heure plus tard, sa fille est retrouvée noyée dans la piscine de l'école. Si la police conclue rapidement à accident, un indice retrouvé par sa mère lui révèle l'identité des deux coupables : ses élèves. Un mois plus tard, le dernier jour de classe, elle leur annonce sa démission, mais aussi son impitoyable vengeance. S'ensuit le récit de quatre autres personnages : la déléguée de classe, la mère du premier coupable, le premier coupable et enfin le second coupable.
Au fil des chapitres émerge une vérité hideuse reflétant une société dans ses imperfections les plus latentes.

La forme et le fond dans ce livre, comme dans Expiations, paraissent indissociables. La forme est à la fois très simple, chaque nouveau chapitre nous donne à entendre la voix d'un personnage différent, et crucial comme nous allons le montrer.
Ce procédé, pourtant banal, mis entre la plume sensible de Kanae Minato donne naissance non pas à un simple point de vue différent, mais à un véritable journal intime du narrateur. À la fois personnel et universel. Permettant à l'auteur d'aborder une problématique à travers un personnage — de nous montrer à travers lui la société et le regard que porte celle-ci sur lui — et son cheminement de pensée, élément indispensable à la compréhension d'autrui. Chaque personnage représente ainsi une partie de la société.
La mère de la victime, par exemple, est une professeure de collège et la mère d'une jeune enfant. Ayant donné naissance à cet enfant hors mariage, elle est qualifiée au Japon de シングルマザー (de l'anglais « Single Mother » traduit par, « Mère fille »). Si le terme a l'air neutre en français, il revêt une tation négative en japonais. En effet, ces femmes sont mal vues par la société, elles n'ont pas suivi le chemin sacré du mariage. de plus si ces femmes possèdent un travail à responsabilités, comme notre protagoniste qui est professeure, elle sera jugée comme inapte, car on dit qu'elles n'ont pour priorité que leur enfant. Par ailleurs, les parents d'élèves préfèrent qu'un professeur n'ait pas de famille, car un homme ou une femme sans famille est vu comme étant plus dévoué à son travail.
Un autre exemple est justement celui du parent d'élève zélé avec en filigrane le culte de l'enfant roi. En effet, un chapitre donne la voix à la mère du coupable, on la nommera Akiko. Ce qui nous est décrit est une mère aussi dévouée qu'en déni. Malgré le manque de talent de son fils, le crime dont il est coupable, elle rejette la faute sur l'école, sur ses camarades, sur la professeure qui est Mère fille. Sa carapace de déni est telle que lorsque son fils devient Hikikomori (principalement des garçons qui vivent coupés du monde et qui ne prennent plus part à la société depuis au moins six mois), elle n'admet pas que c'est à cause de la manière dont elle-même l'a élevé.
« Ces parents déclarent sans honte que si leurs enfants sont devenus hikikomori, c'est la faute de l'école, ou la faute de la société, que sais-je, c'est toujours à cause de l'extérieur, jamais à cause de leur façon d'élever ou de ce qui se passe à l'intérieur de leur foyer. […] Et justement, quand on va au fond des choses, alors [mon fils] ne peut pas être un hikikomori. »
Partant du principe qu'elle est une bonne mère, il en découle pour elle que son fils n'est pas un hikikomori. Car s'il l'était, alors non seulement devra-t-elle supporter la honte d'avoir un enfant hikikomori, mais devra en plus essuyer les critiques sur sa façon d'élever son enfant de la part femmes du voisinage.
C'est bien cela que permet cette disposition par chapitre, de sonder les tréfonds de la psychologie humaine nous permettant ainsi de comprendre l'autre dans son altérité.

Si de nombreux thèmes coexistent dans ce roman, un en particulier interpelle, celui de l'âge minimum. C'est à travers « La Loi Juvénile » (pour plus d'information, « Shônen hô » ou « Juvenile Law » en anglais) que l'auteure soulève ce concept d'âge minimum et des problèmes qu'il peut engendrer. En effet, depuis la réforme de 2001 suite aux deux homicides et la décapitation d'une des victimes commises par Seito Sakakibara alors âgé de 11 ans (pour plus d'information, « Kobe Child Murders »), la loi qui jusque-là exemptait les enfants de moins de 16 ans de toute peine judiciaire ne s'applique désormais qu'aux enfants de moins de 14 ans. Toutefois le premier crime du livre soulève le problème que pose une telle loi, quelle justice existe-t-il pour une mère lorsque sa fille est tuée par un enfant de 13 ans ? Face à cette impunité, la vengeance n'est-elle pas la seule forme de justice restante ?
Autre exemple, l'âge minimum pour boire de l'alcool au Japon est 20 ans. À cette occasion une cérémonie est tenue tous les ans, et sans exception chaque année elle se conclut par des violences causées par de nouveaux adultes qui se sont saoulés. Ce n'est pas le désir inassouvi de boire de l'alcool qui les a poussés à autant en ingérer le jour de leur majorité, selon l'auteure c'est en grande partie dû à la présence de cette interdiction, autrement dit de cet âge minimum.
C'est une réflexion à des sujets d'actualités que nous promet les assassins de la 5e B. Ces problématiques concernant le Japon et nécessitant une réelle connaissance de la société nippone, il n'est pas étonnant qu'à l'étranger ce roman n'ait pas reçu une très grande attention. Attention toutefois à la paresse intellectuelle, si la critique de « La Loi Juvénile » peut sembler convaincante et si l'opinion publique au Japon se montre majoritairement favorable à son abolition, cette loi s'avère nécessaire, car elle vise à la rééducation ainsi qu'à la réinsertion en société, en dissimulant leur identité, des délinquants juvéniles.
Aussi le cas soulevé dans ce roman, l'impunité en cas d'homicide, ne concerne que 0.1 % des crimes juvéniles (http://hakusyo1.moj.go.jp/jp/66/nfm/n66_2_2_2_1_3.html).
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