AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Cosaque


Parmi les cinq Nô de Mishima c'est celui-ci qui est le plus près de la trame traditionnelle de cette très ancienne forme théâtrale japonaise. Un Nô s'articule en deux temps. Dans un premier temps, un voyageur au cours de son périple rencontre une personne avec des occupations clairement ancrées dans le lieu où va se situer l'action. Ce personnage (le waki) informe notre voyageur qu'il s'est passé à cet endroit quelque chose en dehors du commun, il s'agit souvent d'un événement sanglant. Après que l'histoire a fini d'être narrée le waki cède la place au principal protagoniste du drame (le shité), c'est celui-ci qui a vécu au premier chef le drame raconté. Mais ce personnage n'est pas un narrateur, il revit au présent les événements passés, il s'agit en fait d'un fantôme. le shité et le waki sont les deux aspects d'une même personne, d'une « figure » une espèce d'être hybride qui fait le lien entre le monde concret et un monde surnaturel (dans le Nô il y a une composante religieuse). Quant au voyageur il n'a d'autre fonction que celle d'être le faire-valoir du waki/shité. Mishima a utilisé cette forme hyper codifiée et immuable du Japon traditionnel, pour faire remonter des forces occultes que la civilisation positiviste du 20e siècle semble sinon avoir détruites du moins cherche à masquer. La proposition de Mishima est avant tout poétique, cet aspect, Marguerite Yourcenar l'a particulièrement soigné dans son adaptation française.


Cette pièce se situe dans le cadre contemporain d'une chambre d'hôpital où immobile dans son lit une femme paraît dormir, c'est Aoï. Celle-ci souffre d'un mal qui serait d'origine mentale. Depuis plusieurs mois elle est cataleptique. Sa prostration s'interrompt parfois par des moments d'agitations qui semblent exprimer une souffrance physique.

Premier temps de la pièce : pénètrent, dans la chambre de la jeune femme, son mari et une infirmière. Cette dernière explique le mal de la jeune femme par des raisons psychologico-sociales. Or ces explications rationnelles dissimulent une sourde jalousie dont l'objet reste indistinct. Néanmoins l'infirmière au milieu de ses propos ambigus laisse entendre qu'une femme visite régulièrement la malade. Mais elle ne peut pas tellement en dire d'avantage, car la présence de cette visiteuse nocturne la gêne au point qu'elle n'est jamais restée longtemps en sa présence, laissant cette femme seule dans la chambre. L'infirmière s'éclipse et laisse Hikaru seul et perplexe avec Aoï.

Deuxième temps : entre Madame Rokujo, qui n'est autre qu'une ancienne liaison amoureuse d'Hikaru. Madame Rokujo est une belle femme d'allure aristocratique, mais dont le charme de la jeunesse n'est plus. Tout en éludant les questions d'Hikaru relatives à sa présence régulière auprès de sa femme elle tente de reconquérir son ex-amant, sans succès. Alors elle convoque la puissance évocatrice du souvenir, et celui-ci prend corps dans la chambre d'hôpital. À partir de cet instant la drame bascule dans une atmosphère onirique où se superpose une promenade en bateau sur un lac à la souffrance d'Aoï. Il y a toutefois une progression, dans un premier temps l'envoutement fonctionne complètement, tout disparaît, n'existe plus que le passé de cette promenade lacustre, ce n'est qu'au fur et à mesure du succès de la manipulation de madame Rokujo que la jeune Aoï gémit, s'agite et finalement hurle. La souffrance du dernier hurlement est tel qu'il sort le jeune homme de son hypnose, ce qui provoque la disparition de madame Rokujo. Mais ce sortilège a été fatal pour Aoï. Madame Rokujo n'est pourtant qu'involontairement responsable, car ce n'est pas elle qui a agi devant nous, mais son simulacre, son inconscient ou ce que les Japonais appellent son fantôme vivant.



Cette pièce commence doucement, se poursuit dans une douceur très raffinée et s'achève avec une espèce de férocité animale. Ce drame, par le prisme de l'imaginaire poétique de Mishima qui s'est saisi d'une forme multiséculaire, met en scène le désir de possession des humains les uns sur les autres .
Commenter  J’apprécie          100



Ont apprécié cette critique (6)voir plus




{* *}