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Critique de GeraldineB


La beauté est une offrande en même temps qu'une injure à celui qui naît sans grâce.
Dans la nuit du 2 juillet 1950, le Pavillon d'Or, temple bouddhiste de Kyoto, datant du quatorzième siècle, est incendié. le Japon, alors très affaibli par la guerre, est en état de sidération face aux ruines de ce lieu sacré. Mais le plus choquant est peut-être l'identité de l'incendiaire, un jeune moine qui dit avoir agi par "haine de la beauté". Cet acte insensé, Mishima va tenter de lui donner une explication. C'est ainsi qu'il écrira ”Le Pavillon d'Or”, roman complexe et remarquable qui plonge le lecteur dans les eaux profondes du psychisme d'un adolescent blessé, Mizoguchi.

Chétif et bègue, exposé aux moqueries, Mizoguchi apprend tôt à se taire. Puis il grandit, en même temps que grandit en lui une sourde colère. Se sachant malade, son père entreprend avec lui son dernier voyage. Ce sera le Pavillon d'Or. le père de Mizoguchi souhaite confier son fils au Prieur du temple. Et c'est pendant la visite, devant ces dorures se reflétant sur les miroirs d'eau que survient l'éblouissement, la bouleversante découverte de la beauté.
A la mort du père, une vie de jeune moine commence, en petite communauté. Là, il connaîtra son premier véritable attachement pour un autre élève moine, Tsurukawa, un jeune homme qui l'accepte tel qu'il est, lui permettant de s'ouvrir enfin. Mais cette belle amitié va très vite se doubler d'une autre, plus vénéneuse, avec le roué Kashiwagi, un infirme empli de cynisme.
Mizoguchi se sentira tiraillé entre ses deux amis comme on peut l'être entre la vertu et la tentation du Mal. le premier est simple et bon, quand le deuxième est imprévisible, lâche et mesquin. C'est pourtant ce dernier ami qui attirera inexorablement Mizoguchi, réduisant à néant son idéal de pureté. Car Mizoguchi est un coeur pur qui fut une première fois blessé en découvrant l'infidélité de sa mère et qui le sera une nouvelle fois en voyant le Prieur du temple en compagnie d'une geisha. Ainsi donc rien n'est sacré en ce bas monde? La colère de Mizoguchi s'accroît encore lorsqu'il doit servir de guide à des touristes venus visiter le temple. L'une des scènes marquantes du roman est d'ailleurs une visite durant laquelle un américain, accompagné d'une japonaise, demande à Mizoguchi de marcher sur le ventre de sa compagne avec laquelle il vient de se disputer. Mizoguchi obéit, scène insoutenable de violence et d'humiliation qui sonne comme une allégorie de la défaite. le Japon et la beauté sont foulés au pied par la vulgarité des vainqueurs et Mizoguchi, par sa soumission, est leur complice.

Comme pour mieux l'isoler encore, Mishima a fait de ce moine un personnage qui n'éveille pas l'empathie du lecteur. Adolescent torturé, fasciné par la beauté mais ne s'en jugeant pas digne, on le retrouve impuissant devant une belle femme ou méprisant devant une femme plus laide. Il est aussi calculateur et manipulateur.
Pourtant, n'est-ce pas pour soustraire aux forces occupantes ce merveilleux Pavillon d'Or que Mizoguchi décide d'y mettre le feu? N'a-t-il pas la volonté de rendre ce temple à sa culture par la vertu purificatrice des flammes? le feu, comme expression de colère et de désillusion que la parole gelée ne peut dire.

Vertigineuse réflexion sur la Beauté et le Sacré, le Pavillon d'Or est un abîme, un livre qui ne cesse d'ouvrir des portes sur des pièces toujours plus sombres. Mais peut-être que ce chef-d'oeuvre mériterait une nouvelle traduction, celle-ci datant de 1961. Quel traducteur aujourd'hui écrirait "de faible complexion" ou "billevesée"? Je ne suis pas certaine que le charme suranné d'une langue impeccable mais très (trop?) classique rende encore justice à ce roman qui, lui, n'a pas vieilli et dont le sujet principal, la fragilité de la beauté nous atteint parfois de plein fouet, comme ce fameux soir où nous regardions, sidérés nous aussi, brûler la cathédrale Notre-Dame de Paris.


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