AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de claudialucia


Mireille : Je chante une jeune fille de Provence...

Mireille que j'ai lu en français (car je ne suis pas provençale) est un long et beau poème divisé en douze chants. On connaît souvent l'histoire de Mireille par l'opéra de Gounod. Si le livret reprend mot à mot certains passages des vers de Mistral, si le musicien a été fidèle à l'intrigue, il n'a pas pu rendre entièrement la poésie, la beauté épique de la description, la fraîcheur des deux amoureux, Mireille et Vincent, Roméo et Juliette de la terre provençale, enfants âgés de quinze ans prêts à mourir plutôt que de consentir à être séparés.
L'histoire est éternelle : Vincent, fils d'un pauvre vannier est amoureux de Mireille, fille d'un riche propriétaire de la Crau, Maître Ramon, au mas de Micocoules. Celui-ci veut donner sa fille à un homme de sa caste, le bouvier Ourrias qui, jaloux et violent, cherche querelle à Vincent et le blesse. Ce dernier, guéri par la sorcière Taven, envoie, selon la coutume, son père demander la main de Mireille. Mais Maître Ramon refuse avec mépris. Mireille, désespérée, entreprend la longue traversée du désert de la Crau pour aller prier les Saintes de fléchir la volonté son père. Mais le soleil de la Crau va avoir raison de la jeune fille qui meurt en arrivant aux Saintes Marie où l'attendent ses parents et Vincent.

Les personnages sont attachants. Mireille déformation de Merahivo qui signifie merveille est pour Mistral un dérivé du prénom Myriam donc de Marie. Ce n'est pas sans raison qu'il donne à son héroïne le prénom de la Vierge dont elle a la pureté, la candeur. L'extrême jeunesse des deux jeunes gens les préserve des préjugés des adultes, des considérations de fortune et de rang social. Leur amour est entier et leurs sentiments définitifs, exacerbés, sans concession. Mistral peint cet âge encore adolescent avec beaucoup de vérité comme une étape douloureuse, une épreuve qui peut conduire aux actes les plus extrêmes. Il se souvient peut-être, lui aussi, qu'il n'a pu épouser la jeune fille qu'il aimait, refusée par son père car elle n'avait pas de biens.

Une épopée : Humble écolier du grand Homère

En se proclamant au début du premier chant de Mireille, "humble écolier du grand Homère", Frédéric Mistral compose une épopée, certes, mais pastorale qui se déroule dans un mas provençal.

L'odyssée
Ainsi l'odyssée de Mireille, ce n'est pas la navigation périlleuse d'Ulysse qui essuie les tempêtes les plus terribles, poursuivi par la vindicte des Dieux, c'est la traversée du désert de la Crau, l'épreuve du feu du soleil, la souffrance de la soif, la mort. L'exploit de Mireille n'est pas celui d'un héros terrassant des monstres mais le courage dune petite fille obstinée, dévouée, amoureuse, qui continue à avancer vers le but qu'elle veut atteindre malgré la solitude et la douleur.

Les Héros guerriers
Les héros ne sont pas des rois mais de riches paysans, maîtres de grands domaines; les guerriers sont les farouches bouviers de Camargue, peuple fier et arrogant dont les chevauchées sauvages sur leurs petits chevaux camarguais endurants et fougueux à la poursuite des taureaux sont des faits de bravoure. Les prétendants de Mireille- car semblable à Penélope, elle doit repousser les amoureux qui veulent l'épouser - sont Alari, le berger, Véran, le gardien de cavales, Ourrias, le toucheur de boeufs. J'aime beaucoup ces paysans provençaux devenus sous la plume du poète, fier de ses origines, semblables à des princes, beaux ou redoutables, puissants dans leur humilité, dignes dans leur maintien même dans les occupations les plus quotidiennes.

Ourrias. "Né dans le troupeau, élévé avec les boeufs, des boeufs il avait la structure, et l'oeil sauvage et la noirceur, et l'air revêche et l'âme dure... Combien de bouvillons et de génisses dans les ferrades camarguaises n'avait-il pas renversé par les cornes. Ainsi en gardait-il entre les sourcils, une balafre pareille à la nuée que la foudre déchire; et les salicornes et les trainasses, de son sang, s'étaient teintes jadis." (chant IV)

Ourrias, tel un héros grec (Achille?) bouillant, coléreux, orgueilleux, qui n'accepte pas l'échec et veut soumettre la femme qu'il a choisie. Tous sont dépeints dans un style ample, lyrique, avec un grandissement épique qui les transfigure, qui permet à notre imagination de s'envoler vers ce pays d'eau, de salins et de mer, la Camargue où la liberté, le souffle du mistral, les grands espaces s'offrent à nous, où se déroulent les exploits de ces hommes proches de la nature, en accord avec les éléments.

Véran : "il avait cent cavales blanches épointant les hauts roseaux des marécages. (..) Jamais on ne les vit soumises car cette race sauvage, son élément c'est la mer; du char de Neptune échappée sans doute, elle est encore teinte d'écume ; et quand la mer souffle et s'assombrit, quand des vaisseaux rompent les câbles, les étalons de Camargue hennissent de bonheur et font claquer comme la ficelle d'un fouet leur longue queue traînante..." (chant IV)

Les Dieux
Une épopée donc, où les Divinités sont le Drac, le Dieu du Rhône qui entraîne ses victimes au fond de ses eaux sombres, les Trèves, lutins des qui dansent sur les eaux quand le soleil ou la lune les fait miroiter. C'est ainsi que Ourrias trouvera le châtiment de sa cruauté envers Vincent en cherchant à traverser le Rhône dans une scène hallucinante où les Noyés du fleuve viennent le réclamer :

"Les voilà! pauvres âmes éplorées! les voilà! sur la rive pierreuse ils montent, pieds nus : de leurs vêtements limoneux, de leur chevelure feutrée coule à grosses gouttes l'eau trouble. Dans l'ombre sous les peupliers ils cheminent par files, un cierge allumé à la main." (Chant V)

Vision infernale de ces ombres glacées qui rappellent celles entraperçues par Ulysse lors de sa descente aux Enfers, une épreuve qui est celle aussi de Vincent succombant à l'attaque d'Ourias dans un lieu nommé le Val d'Enfer, aux Baux. Ce site bien réel (on voit comment Mistral utilise les paysages de sa région comme décor) ) est constitué d'un amas de rocs tourmentés, d'un chaos sauvage où au fond de son antre appelée la grotte des Fées, vit Taven la sorcière. Taven, la magicienne, autre Circé avec ses filtres guérisseurs.
le fantastique de ce chant VI est un étonnant mélange entre paganisme et christianisme. L'invocation du Christ et de Laurent le saint martyr, les farces des "follets", lutins tour à tour malicieux ou méchants, l'apparition de la Lavandière qui assemble les nuées, la mandragore dont se pare Taven, les sorciers de Fanfarigoule, La Garamaude et le Gripet, la Vieille de Février qui ramène le Froid, tous les êtres surnaturels du Pays d'Oc ... se rassemblent pour former un creuset bouillonnant de toutes ces croyances, scène irréelle, à couper le souffle où l'imagination du Poète ne connaît plus de limite et nous entraîne dans une danse haletante qui ne cesse de s'accélérer.

"Quel vacarme!.. ô lune, ô lune, quel malencontre te courrouce pour descendre ainsi, rouge et large, sur les Baux!... Prends garde au chien qui aboie, ô lune folle! S'iI te happe, il t'engoulera comme un gâteau, car le chien qui te guette est le Chien de Cambal" (chant VI)

Mais le Merveilleux chrétien reprend bien vite ses droits avec la figure des Saintes Marie à qui Mireille adresse ses prières et qui viendront l'encourager dans sa marche et l'accueillir en leur paradis.

"O saintes qui pouvez en fleurs changer nos larmes, inclinez vite l'oreille devers ma douleur! Donnez-moi Vincent.
Mon père s'oppose à cet accord : de toucher son coeur, ce vous est peu de chose, belles saintes d'or!
bien que dure soit l'olive, le vent qui souffle à l'Avent, néanmoins la mûrit au point qui convient.".(chant X)

Il y a un autre maître dont Mistral se réclame aussi : Virgile! Comme lui, Mistral célèbre la nature pastorale, les travaux des champs. Comme lui, il chante la terre Méditerranéenne, éternelle, à l'ombre de l'olivier, l'arbre symbolique de ce pays éclaboussé de soleil, saturé de couleurs et d'odeurs. le lecteur est baigné dans cette atmosphère particulière aux pays méditerranéens et pris par le charme de cette description, de cette langue poétique qui célèbre les joies humbles des travailleurs et qui magnifie le travail champêtre : cueillette des feuilles de mûriers, dépouillement des cocons, fenaison, labourage, moisson...

Mireille est un très beau poème injustement méconnu, une oeuvre riche et généreuse dont le personnage principal devenu un mythe a donné lieu en Provence à un type, celui d'une jeune fille portant le costume arlésien, doté de qualités de fraîcheur, de simplicité, de courage, jeune personne que l'on appelle : " une Mireille".
J'ajouterai que je suis assez amère quand je vois, par exemple, que le poème de Longfellow, chantant l'amour d'Evangeline, jeune acadienne déportée, figure devenue mythique en Acadie, est unanimement et justement reconnue et célébrée dans la littérature anglo-saxonne; alors que les français passent à côté d'une oeuvre qui, bien qu'elle ait la force d'un mythe, est rejetée seulement parce que l'auteur s'est affirmé comme provençal.


Lire l'article consacré à Mistral, prix Nobel 1904 dans mon blog Ma Librairie
Lien : http://claudialucia.blog.lem..
Commenter  J’apprécie          111



Ont apprécié cette critique (7)voir plus




{* *}