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Critique de Osmanthe


Nous sommes en 1938, à Tokyo. Dans une salle de réunion, des musiciens amateurs se sont réunis pour le plaisir de la belle musique classique. Schubert, Beethoven, Berg sont leur passion. L'initiateur est Yu Mizusawa, le violoniste. Ses trois comparses sont chinois, dont une jeune femme, Yanfen. Pendant ce temps, le fils de Yu, Rei, dont la mère est décédée, lit tranquillement. Depuis 1937, le Japon est en guerre avec la Chine. Lorsque des soldats japonais font irruption dans la salle, ils sont soupçonnés de comploter contre la patrie, surtout que Yu commet l'imprudence d'un mensonge en faisant passer Yanfen pour son épouse. Malgré le goût sensible du lieutenant Kurokami pour cette musique, sa hiérarchie ordonne l'embarquement du quatuor. Le beau violon Vuillaume de Yu est détruit, sous l'oeil du petit Rei caché dans un placard. Kurokami va le découvrir, et lui remettre le violon sans dénoncer celui qui n'est qu'un enfant. Cette scène inaugurale se déroule sur près de 60 pages, occupe la première des quatre parties du roman, situant toute son intrigue.

Par la suite, nous sommes transportés en France, dans les années 2005-2006. A Mirecourt, capitale française de la lutherie, le luthier septuagénaire Jacques Maillard, vit heureux plusieurs décennies d'amour aux côtés de sa femme Hélène, archetière. Il tient particulièrement à l'un de ses violons, qui n'est pas à vendre : un Vuillaume, restauré minutieusement. Jacques Maillard-Rei Mizusawa, l'enfant japonais adopté par un couple de français amis de son père au Japon, a toute sa vie gardé la blessure de la perte subite de son père, dont il aura sauvé le violon. Et ce sauvetage n'a été possible que grâce à l'entremise de ce mystérieux Kurokami au nom impressionnant (littéralement « Dieu noir »). Il va s'efforcer, au soir de sa vie, de retrouver les acteurs, parfois fantômes, de ce funeste jour de 1938, et leurs descendants. En toile de fond, comme un fil d'ariane, immortel, ce formidable violon. Car ce violon, autant que les humains des générations suivant le drame, assure le passage de témoin entre les êtres et la pérennité de la mémoire…Il a lié des êtres dont les pays étaient ennemis, a résisté au temps comme des humains ont résisté à l'oppression et à la guerre. C'est aussi le symbole de l'universalité de la musique, qui peut susciter partout le même sentiment d'émotion et rapprocher les êtres.

Âme brisée est un beau roman, à l'ancienne, classique. Parmi ses qualités, et non des moindres, il s'agit d'une véritable oeuvre d'imagination, ce qui n'est plus guère la majorité des cas entre les modes des romans plus ou moins autobiographiques, des biographies romancées, ou de l'Histoire revisitée. Il est porté par une construction agréable, comportant quatre parties aux titres de mouvements de concertos, pour mieux souligner le fil conducteur musical. Il sait nous faire partager son amour de la musique en commentant avec poésie et lyrisme le morceau que nous croyons ainsi entendre avec une étonnante acuité. Les chapitres sont courts, voire très courts, c'est fluide. Et puis Mizubayashi maîtrise à merveille la langue française, bien mieux que la plupart des français, y compris des intellectuels et écrivains français. Je le rapprocherais en cela d'Andreï Makine, et c'est un sacré compliment dans mon esprit.

Alors pourquoi 4 étoiles, et non 5 ? Peut-être parce qu'il est justement un peu trop bien façonné et poli, ce roman, un peu trop fardé de symboles. J'ai trouvé un côté légèrement artificiel à cette histoire tellement il y a de coïncidences qui veulent absolument faire sens (par exemple, il indique que Jacques avait photographié son violon le jour de l'achèvement de sa restauration 44 ans après sa destruction, le 11 novembre 1982 ? Pourquoi ajouter encore une référence à une terrible guerre qui n'était pas celle-là ?). D'autre part, le roman n'est pas à la première personne, c'est l'écrivain qui parle, ce qui crée une distanciation. Le style est ainsi assez journalistique (tout en étant de grande qualité littéraire, je le maintiens, la plupart du temps), ce qui ne permet pas sans doute de saisir suffisamment la charge émotionnelle chez les personnages. Personnellement, je suis un peu resté à l'extérieur, pas vraiment ému comme s'il manquait quelque chose, alors même que je n'aime pas le larmoyant. Et puis par moment, l'inspiration dans les dialogues se tarit, dans le petit cérémonial mais néanmoins trivial des politesses quotidiennes. Pire, les dernières pages d'après le concert final n'ont pas à mon avis un grand intérêt.

Âme brisée est au total un bon roman, parfois très bon, et l'auteur fait honneur à la langue française. Il souffre toutefois de quelques apprêts excessifs, et d'un côté milieu artistique petit-bourgeois bien-pensant un peu trop convenu à mon goût pour emporter une totale adhésion.

Je remercie babelio pour cet envoi, qui m'a permis de rencontrer l'auteur, au demeurant un homme et écrivain de qualité, ce qui comme chacun peut le comprendre, n'a altéré en rien l'indépendance de mon avis !
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