Le "voile obligatoire" est la source principale de domination et de répression dans la société visant à maintenir et à perpétuer un gouvernement religieux autoritaire.
« Et les mères de Gaza, ne sont-elles pas des mères ? »
Lors de mes interrogatoires, il m’arrivait de dire qu’Ali et Kiana me manquaient beaucoup. Un jour ils m’ont fait descendre de deux étages par le monte-charge. « Le maître est là ! » dit l’interrogateur. J’ai pénétré une pièce où étaient installés des caméras et des projecteurs. Je n’ai pas caché mon étonnement. Un homme de grande taille, dans la fleur de l’âge, en costume de ville, s’y trouvait. Si je l’avais rencontré ailleurs, je n’aurais jamais soupçonné son métier. Je crois qu’il méritait vraiment le titre de « maître » en la matière. Son visage était figé et sans expression. Lorsque je lui ai dit que j’étais une mère et que mes enfants se trouvaient en bas âge, il m’a rétorqué sèchement : « Et les mères de Gaza, ne sont-elles pas des mères ? » Cette réponse m’a fait comprendre qu’il était endoctriné et qu’il serait inutile de discuter avec lui.
Dès mon arrivée, j’étais choquée par ce comportement éhonté ainsi que par la grossièreté et l’impudence de ces gardiennes. Elles l’exprimaient sans honte et s’en vantaient ensuite avec fierté comme s’il s’agissait d’une prouesse remarquable. Elles m’ont remis un ensemble synthétique composé d’un manteau et d’un pantalon de couleur bleu marine. Je l’ai refusé en rétorquant que j’exigeais des vêtements confortables. « Tu n’as pas le choix », m’ont-elles répondu en y ajoutant un foulard noir aux fleurs blanches, un bandeau pour les yeux et un tchador. Une fois habillée de ces nippes, j’ai été emmenée directement à l’interrogatoire.
Ils m’ont mis un bandeau sur les yeux avant de me faire descendre de la voiture. J’ai pénétré le quartier de détention et regagné une toute petite cellule d’isolement. C’était la première fois que je mettais les pieds dans une cellule. Quel étrange endroit ! Une espèce de cube sans fenêtre ni issue vers l’extérieur. Une minuscule lucarne s’ouvrait vers le ciel, mais il était si haut sous le plafond que la lumière n’y passait presque pas. Une petite ampoule de 100 watt nichée en hauteur dans le creux du mur ne s’éteignait jamais.
Ce qui ne tue pas rend plus fort.
Je n'avais plus l'impression d'être un être humain normal.
Un jour, j’ai eu droit à une orange. Je me suis arrangée à la consommer quartier par quartier, pour la faire durer le plus longtemps possible. Je l’ai épluchée d’une seule traite, à l’instar du globe terrestre. Kiana signifie l’essence de la nature, et cette orange évoquait pour moi l’essence de la vie. Je la faisais tourner et priais pour ma petite Kiana qui venait d’être opérée.
Il était minuit passé. La ville était calme et silencieuse. Notre voiture et celle qui nous précédait roulaient à toute vitesse en direction de la prison d’Evine. La porte de fer s’est ouverte lourdement et j’ai été livrée aux autorités de la section 209 du ministère des Renseignements. Ils m’ont mise aussitôt un bandeau sur les yeux. Nous sommes entrés dans la section. Ils ont écarté le rideau sale qui pendait à l’entrée pour me laisser passer. La gardienne m’a réceptionnée. Elle m’a conduite dans une cellule et m’a ordonné de me déshabiller. « Comment ça ? rétorquai-je. J’enlève même le linge du corps ? – Absolument, répondit-elle. » Nous nous sommes disputées, mais c’était une femme dure qui connaissait son affaire, alors elle m’y a obligée malgré mes protestations. Dès mon arrivée, j’étais choquée par ce comportement éhonté ainsi que par la grossièreté et l’impudence de ces gardiennes.
L’interrogateur m’a fait ensuite sortir du bureau et monter à bord d’une Peugeot. L’ordre m’a été donné de baisser la tête. Nous avons quitté le Tribunal de la Révolution par une sortie dérobée. Nous avons traversé plusieurs rues, franchi un portail et roulé encore une longue distance. Le vacarme des rues s’était sensiblement éloigné. Je sentais avoir pénétré une lointaine forteresse.