Elle a très peu parlé de vous mais c'est normal. La relations avec les gens qui vont bien sont toujours très complexes.
Et nos yeux de reptiles guettant prudemment le danger, nos paupières un peu lourdes à demi fermées avec ces pupilles marron tirant vers l’orangé. C’est pour tout ça qu’on nous appelait les zombies. « Tiens, voilà les zombies ! », lançaient les routiers. On lisait dans leurs yeux la peur de l’étrange. Certains clients prétendaient qu’on était albinos alors qu’en vrai, on était simplement différentes. Pour eux, nous étions l’œuvre d’une fée. Pour d’autres, un mauvais présage. On ne ressemblait à personne du coin, sauf peut-être à maman qui souffrait de ces bavardages, elle qui aurait tant aimé rester dans l’ombre de sa vallée. Avec son physique à part, elle ressemblait à ces plantes déracinées condamnées à pousser hors sol.
Y faut m’garder
Et m’emporter
J’suis pas périssable
J’suis bon à consommer
Le cimetière des éléphants » d’Eddy Mitchell.
Le souvenir de toi est comme un miroir déformant qui me renvoie une image peu flatteuse, celle d’une femme qui passe ses nuits à boire du cognac en quantité déraisonnable, ne couche jamais plus avec son mari mais finit la nuit avec son assistant, et n’a presque plus d’amies tant elle est maladivement obsédée par ce qu’elle crée. Une femme qui s’est laissé happer par les préoccupations de son complice intéressé par ce que rapportent ses ventes, par ces nouveaux marchés à conquérir, ces nouveaux concepts à explorer dans le seul but de se démarquer dans ce milieu saturé.
J’avais beau abuser de mes stratagèmes – mains frottées l’une contre l’autre, étirements et respirations profondes –, rien n’y faisait. Pour faire taire mes angoisses, j’ai plongé mes mains à l’intérieur de la matière. Pourtant, le toucher soyeux. Pourtant, la terre humide sous les ongles. Pourtant, cette caresse unique mais sans le miracle espéré. Pourtant, tout ce que j’aimais mais sans la pulsion vitale qui l’accompagnait.
J’ai toujours pensé que malgré tes déconvenues, à l’adolescence tu avais bénéficié d’une chance : celle de n’être obligée à rien. Après ton refus de poursuivre ta scolarité, aucun de nous n’attendait de toi du concret. Depuis ce temps-là, est-ce que quelqu’un t’a déjà obligée à quoi que ce soit ?
Des mots rares imbibés de contes et de légendes de ce pays de Haute-Soule d’où papa l’avait enlevée. Des légendes basques avec des dieux de bien avant les religions, de bien avant le commencement, des vrais dieux ambivalents, « ni bons ni mauvais », disait maman, les yeux brillants de tristesse.
bouillonnante envers tout ce qui me concernait, mes études d’art comme mes fiancés, et surtout celui-ci qui s’était aventuré à Tout-Y-Faut. Venir dans notre trou paumé en bordure de marais, et pour quelle autre raison que l’amour, pas vrai ? Et cet amour, tu l’avais piétiné peu de temps avant mon mariage, te faisant passer pour moi dans le noir de l’ancien escalier le soir de ce dîner trop arrosé au cours duquel Tadzio fraîchement intronisé par Yann et ses chasseurs avait un peu chargé sur le pineau des Charentes.
Façonner mes propres formes faisait de moi quelqu’un d’autre. Peu après cette époque, l’art n’a plus suffi à étancher ma soif.
Du creux de ma main je tiens le bulbe de ma pipe à cognac en aspirant le liquide ambré. On aime mes manies. On vante ma fantaisie, tandis que mes dérapages solitaires restent secrets.
Jamais personne ne s’inquiéterait pour moi.