Mais là où Emiliano s'est retiré, dans son passé, gît un réseau de catacombes inondees- un blocage comme le qualifieraient des années plus tard plusieurs médecins : c'est un blocage, une des conséquences de tout ce que tu as vécu à l'hôpital.
L'histoire, enfouie sous les anecdotes et les évènements qui l'enveloppent, à la manière dont chaque couche de pelure d'oignon, enveloppe le cœur du bulbe, est ici une impression. L'esquisse d'un battement de coeur : un pressentiment, au sens strict du terme. Le même pressentiment qui, sans jamais être mentionné par quiconque, sans être prononcé à voix haute , se transmet d'un membre à l'autre d'une même lignée, une lignée qui , dans le cas présent, est la mienne.
"Je préfère ne pas demander, imagine qu'on me réponde "
Tous les bons sentiments, ou presque, si tu les frottes un peu chaque jour à la vie commune, se transforment en rage ou en ressentiment.
Pourquoi a-t-il feint sa propre mort ? Pourquoi nous a-t-il dupés de la sorte ? Pourquoi, bordel, nous a-t-il tant fait souffrir ? Et comme je n’étais pas capable, à ce moment-là, de répondre à toutes ces questions, arriva ce qui devait arriver. Les paroles tournoyaient en moi : qu’est-ce qu’on lui a fait ? Comment avons-nous pu le pousser à faire ça ?
J’avais treize ou quatorze ans, merde.
Tu sais ce qui se passe sous les crânes. Et pire encore, ce qu’il en est des sentiments de merde, des saloperies. Je les éprouvais tout à la fois, charriés par la même boue. Je me sentais enragé, je me sentais coupable, je me sentais bouleversé et craintif.
C’est pour ça que je n’ai pas dormi de la nuit. Et c’est aussi pour ça que le lendemain matin, au petit déjeuner, je l’ai de nouveau serré dans mes bras, même si en faisant ce geste je voulais aussi le blesser. J’étais exactement dans les mêmes dispositions qu’en allant me coucher la veille.
Un peu plus tranquille quand même, parce que pendant le petit déjeuner on nous a annoncé qu’on ne partirait pas, qu’on resterait là, au D.F.
Donc non, Emiliano. Je ne suis pas capable de te raconter ce que je pensais avoir été ses raisons à l’époque, tout simplement parce que je ne pouvais pas m’en faire une idée.
Bien sûr que j’ai continué à y penser encore longtemps. Putain, je n’ai même jamais cessé d’y penser.
Si, je lui ai posé directement la question.