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Critique de Deleatur


Même très confortable et avec un beau jardin ensoleillé, le confinement a ceci de radical qu'il vous donne une puissante envie d'air du large. Attention cependant, quand on parle ici d'air du large, il ne s'agit pas d'aller remorquer un sharpei obèse sur la plage à Cabourg, en humant l'un ou l'autre embrun d'un air béat. Non : là, on embarque pour cinq cent pages sur un escorteur de convois dans l'Atlantique Nord, entre novembre 1939 et mai 1945. Cela raconte la guerre menée contre un ennemi impitoyable, le sous-marin allemand, et contre la traîtresse qui dissimule cet ennemi à tous les regards, la mer cruelle.

Dans ce roman, si on croise quelques dizaines de personnages, deux comptent plus que les autres, présents de la première à la dernière page : le commandant Ericson et son second Lockhart, le vieux briscard de la Royal Navy et le jeune officier tout frais sorti de l'école, deux êtres que la guerre va unir comme un père ombrageux et son fils adoptif.

Si on recherche des aventures trépidantes, de hauts faits d'armes, une épopée glorieuse, le soleil miroitant sur les vagues et les caprices du vent dans la folle chevelure des héros, il vaut mieux passer son chemin. Car le livre porte très bien son titre : cette mer-là est grise, froide et sombre. Elle a l'éclat terni de l'acier, elle sent le mazout en flammes, elle ressemble à un interminable hiver et est effroyablement meurtrière.

C'est un roman certes, et magistralement mené, avec une galerie de personnages auxquels on croit dès la première seconde. Mais c'est plus qu'un roman car l'histoire est très directement nourrie de l'expérience intime de l'auteur. Nicholas Monsarrat, en effet, fut lui-même durant la guerre ce jeune officier de marine qui sert de modèle au personnage de Lockhart.

Le ton est froid, clinique, se contente sobrement de rendre compte d'un réel extraordinaire et épouvantable. le récit ne concède rien au lyrisme, et encore moins à la grandiloquence. La guerre ne grandit pas les hommes, elle les endurcit. Et les hommes du bord, quand ils se retrouvent sur la terre ferme, ré-endossent comme un vieux paletot des flopées d'histoires tristes et sans espoir. A la fin du livre, de toutes façons, la plupart ne retrouvent pas la terre : la mer les a engloutis dans son indifférence, avec tout au plus quelques noms qui surnagent.

Sur le même sujet, j'ai trouvé ce livre bien supérieur à Bergers sur la mer, de Cecil Scott Forester. Forester, comme on le sait, est l'inventeur génial du capitaine Hornblower, immense personnage de fiction dont je suis un grand fan. Mais Forester écrivait ses romans de mer depuis sa villa de Beverly Hills. Il ne m'avait pas semblé très à l'aise dans l'évocation de cette lutte ingrate contre les sous-marins allemands, comme s'il n'avait pu se résoudre à un roman dont le romanesque devait rester absent. Monsarrat, au contraire, est dans cette guerre comme chez lui, et on comprend en lisant La Mer cruelle qu'il n'en est sans doute jamais vraiment revenu. Un récit de guerre de haute volée, et d'une grande force humaine malgré sa sécheresse apparente.
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