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Critique de Presence


Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre, qui se termine dans le tome suivant. Il comprend les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2016/2017, écrits, dessinés et encrés par Terry Moore. Cette histoire est en noir & blanc. Terry Moore est également l'auteur de Strangers in Paradise, Echo et Rachel Rising.

L'histoire s'ouvre avec une citation de Stephen Hawkins sur la probabilité de l'existence d'une vie extraterrestre, et celle d'une intelligence extraterrestre. Dans une zone désertique de l'un des états du Sud des États-Unis, Sam (Samantha Locklear) travaille seule dans une casse pour automobile, éloignée de toute habitation et distante de la ville. L'entreprise appartient à une veille femme appelée Libby qui lui rend visite tous les jours. Sam prend en charge les épaves, et les désosse pour récupérer les pièces. Elle a pris l'habitude de parler toute seule à haute voix, à un gorille appelé Mike, son ami imaginaire. Au temps présent, elle lui explique en quoi des voitures se conduisant toutes seules marquent le début de la fin de la civilisation. Elle se rend ensuite dans son bungalow pour se mettre un peu à l'ombre, avec une température extérieure de 114°F (environ 45°C). Mike et elle reconnaissent le bruit du moteur d'une Plymouth ; ils en déduisent l'approche et l'arrivée de Libby.

La propriétaire Libby vient apprendre à Sam qu'une personne (Lewis Walden) lui a fait une proposition d'achat du terrain, mais qu'elle ne vendra que quand Sam souhaitera quitter ce trou paumé. Elle lui dit qu'elle pense que Sam est assez forte pour regagner la société et qu'elle a bien dû réussir à surmonter le stress post traumatique de ses 3 tours de service militaire en Iraq, dont une année retenue prisonnière et torturée. Elle lui rappelle de s'hydrater régulièrement, et d'aller voir le médecin pour lui parler de ses maux de tête. Sam promet d'y réfléchir. La nuit suivante, Sam est réveillée par un grand bruit à l'extérieur. Elle enfile ses chaussures et prend son revolver. Elle découvre une soucoupe volante dans le dépôt de ferraille, avec un petit extraterrestre bien embêté devant la fuite d'une durite du vaisseau. Elle procède à la réparation, et la soucoupe s'envole avec ses 2 passagers extraterrestres.

Peu de temps après la fin de Rachel Rising, Terry Moore annonce une nouvelle série avec un visuel montrant une jeune femme mécano, un grand gorille habillé et une soucoupe volante, soit des prémices inhabituelles avec une forte connotation de science-fiction, mais aussi un personnage principal féminin, une constante dans ses séries. le lecteur qui a suivi la carrière de cet auteur sait qu'il ira jeter un coup d'oeil à sa nouvelle série, quoi qu'il en soit. L'auteur lève rapidement l'incertitude quant à la nature du gorille, à savoir un ami imaginaire issu de l'imagination de Sam. Pourtant le lecteur n'est pas au bout de ses surprises quand il découvre 2 séquences avec des extraterrestres semblant issus d'un dessin animé, avec un vaisseau en forme de soucoupe volante. Il relève quelques détails indiquant que l'auteur se montre facétieux. Il y a ces 2 hommes de main à la compétence particulièrement faible : Vic (pour Victor) et Larry. Ils se baladent en costume noir, malgré la chaleur. Ils échangent des impressions qui font ressortir leur absence d'expérience professionnelle. Ils sont incapables de se montrer à la hauteur de leurs prétentions, en particulier quand Vic se fait neutraliser par la force physique de Sam sans avoir rien vu venir. Vic se rend aussi ridicule quand il inhale la fumée de sa cigarette, en même temps qu'il boit une gorgée de bière. le lecteur remarque d'ailleurs qu'il s'agit de la bière Duff. Libby est plus compétente et pertinente, mais son apparence est aussi pragmatique que ses réparties sont sarcastiques. Il y a encore d'autres détails humoristiques comme la discussion entre Sam et Mike pour savoir qui est meilleur musicien de jazz entre Ella Fitzgerald et Charlie Parker, ou une référence étonnante à Hergé, ou encore Mike sur les toilettes.

Terry Moore contrebalance sa verve facétieuse avec le drame de l'histoire personnelle de Samantha Locklear et son comportement adulte, les manigances inquiétantes de Lewis Walden, la gentillesse mêlée de vacherie de Libby. le lecteur ne sait pas donc trop s'il doit prendre les éléments loufoques au premier degré ou non, mais il s'attache tout de suite aux personnages complexes, et touchants, même les incompétents Vic & Larry. Comme à son habitude, l'auteur s'appuie sur une narration graphique fluide. le degré de finition des dessins varie étonnamment d'une case à l'autre. Parfois il peut représenter des accessoires ou des éléments de décors avec un trait assuré, et des traits de contour peaufinés, bien arrêtés, comme les meubles de la chambre de Sam, ou certains modèles de voiture. À d'autre moments, il esquisse les formes avec des traits lâches, pas de construction, mais des formes rapidement tracées pour rester dans une impression spontanée, et sortir d'un registre purement descriptif. le lecteur est parfois un peu surpris par ce changement de mode de représentation, même si les effets obtenus sont efficaces.

Le lecteur se rend vite compte que les dessins lui permettent de se projeter dans chaque endroit. Il peut voir les carcasses de voiture accumulées, la clôture grillagée, les outils dont dispose Sam pour travailler, les pièces qu'elle a déjà récupérées et stockées à part, son bungalow et ses différentes pièces avec l'ameublement utilitaire, les diplômes dans la salle de consultation du médecin, la piscine du motel où sont descendus Vic & Larry avec ses fauteuils de plage, le court de tennis où joue Libby, avec son revêtement fondant sous le soleil. L'artiste sait insuffler avec naturel une vie dans ses personnages. Sam est tour à tour pleine d'énergie, sûre d'elle, réflexive, pensive, efficace et brutale. Comme à son habitude, Terry Moore prend grand soin de ne pas réduire son personnage à un objet. Il dresse le portrait d'une jeune femme encore sous le coup du stress port traumatique, capable de se défendre physiquement, sur le visage de laquelle passe des expressions aussi bien sérieuses que des moues comiques. Même s'il est tentant de ne voir qu'un personnage comique dans Libby, le lecteur découvre une femme avec un caractère bien trempé, qui ne mâche pas ses mots et qui sait ce qu'elle veut. Plus que pour Sam, Terry Moore joue sur l'ambiguïté entre un individu représenté au premier degré, et une détente comique. Il peut aussi bien réaliser un dessin centré sur sa culotte (de grand-mère) quand elle joue au tennis, que de montrer dans une case tous les autres personnages se taire respectueusement pendant qu'elle parle.

Terry Moore s'amuse bien avec les autres personnages. Il s'en tient à un maintien très droit et très strict pour Lewis Walden, comme si les individus psychorigides étaient forcément des méchants. Il joue sur le contraste entre Larry et Vic, le premier étant maigre et élancé, le second fort et costaud. Cependant, c'est Larry qui se charge des besognes physiques, essuyant échec sur échec, et Vic se retrouve à ne savoir quoi faire de sa masse corporelle, ne pouvant que regarder Larry se faire démolir et ramasser les morceaux après coup, se retrouvant observateur plutôt qu'acteur. Les personnages s'incarnent donc plus par leur comportement montré visuellement, que par leurs dialogues. le lecteur se retrouve donc émotionnellement impliqué par l'empathie qui se dégage d'eux. Il remarque également que Terry Moore prend un grand plaisir à réaliser des cases improbables qui trouvent pourtant naturellement leur place dans la narration : Sam roulant sur les carcasses dans un buggy découvert, la durite projetant de l'huile sur un extraterrestre ahuri, les 2 empreintes de main sale sur le short de Sam, son dos couturé de cicatrice quand elle fait ses ablutions, Sam manipulant une tronçonneuse d'une seule main, Vic se tenant assis sur une pierre en plein milieu du désert sous un soleil accablant, un gros plan du pied de Sam en train d'ouvrir le robinet de la baignoire, etc.

Cette première moitié de l'histoire de Samantha Locklear permet de retrouver Terry Moore en pleine forme, créant un nouveau personnage féminin fort et complexe. Il lui donne des caractéristiques des héros d'action avec sa formation militaire et son expérience à la guerre, et la fragilité d'un individu ayant subi des tortures au main de l'ennemi. Il ne traite pas cela comme des expédients narratifs stéréotypés, mais comme une situation de traumatisme, avec un individu essayant de la gérer au mieux. Les personnes évoluant autour de Sam sont tout aussi humaine, faisant de leur mieux en fonction de leur capacité. L'auteur développe un environnement avec des particularités qui le rendent unique. Il invite le lecteur dans une narration à fois réaliste et dramatique, et à la fois comique parfois jusqu'à l'absurde. Même s'il n'est pas bien sûr de savoir où va le récit, le lecteur se laisse bien volontiers emmener dans ce voyage, mi loufoque, mi tragique, pleinement impliqué par le sort de ces personnages.
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