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Critique de afriqueah



Moravia n'aurait surement pas aimé la 4· de couverture où il est dit : « A quatre vingt ans, l'auteur du Mépris et d'Agostino a voulu tout voir et tout comprendre de l'Afrique noire «
Moravia est bien trop intelligent pour vouloir tout comprendre d'un continent. d'‘autant plus que ce qui l'intéresse en Afrique, c'est son mystère, comparable aux mystère du féminin.

C'est un voyage antitouristique et imprudent que Moravia entreprend 3 ans avant sa mort, lui qui avait beaucoup voyagé, en Inde avec Pasolini, et en Afrique, déjà : depuis le Zaïre, les collines de Tanzanie, le Ruanda , le Burundi et retour au Zaïre, où il longe le fleuve Ruzizi, « découvert » par Livingstone, et enfin le Gabon.

Il se demande : c'est quoi l'Eden et aussi, c'est quoi cette nostalgie de l'Eden , dont Adam et Eve furent chassés alors qu'ils avaient mis le monde à feu et à sang en vue du profit ?
Comment revenir à cet état idyllique, en tête à tête avec les bêtes sauvages ?
Où ? Dans les parcs nationaux ?
Ce sont, analyse Moravia, des marchandises comme les autres, car pour revenir au paradis terrestre, il faut payer. Et les lodges, avec robinetteries, poignées, portes et fenêtres de première qualité, luxueux, et voulant paraître artisanaux en singeant la nature et en jouant sur notre désir d'Eden reproduisent un monde capitaliste.
Et , suivant le cours de cette pensée d'une rare intelligence, les gorilles ont sans doute été devant le même choix que le premiers hommes et seraient arrivés au compromis suivant : « tu ne me chasses pas de l'Eden, et , moi, en échange, je renonce à devenir un homme. »
Malheureusement, les hommes s'emploient à détruire ces ilots protégés où se refugient les gorilles, « les agriculteurs affamés de terre cultivable essaient par tous les moyens de détruire la forêt de haute altitude pour y planter leurs bananiers et il ne fait pas de doute qu'un jour ils y parviendront. »
Même si le gorille parfois se doute qu'il a fait un mauvais calcul en essayant de rester dans le paradis terrestre, les efforts, dit Moravia, d'une Diane Fossey, pour revenir en arrière, pour tenter de parler et de communiquer avec lui, « témoignent plus d'un désir inconscient, chez elles, de retourner dans l'Eden que d'une disposition du gorille à en sortir. »
Exit l'Eden, et sa nostalgie, reste la réalité tellement imprévisible, et aussi inéluctablement sacrifiée : Moravia étant trop perspicace pour se contenter de rêver, il déplore, chiffres à l'appui, la déforestation abominable de la forêt primaire , alors que c'est elle qui produit les pluies bénéfiques : « si vous rasez une forêt au Gabon, le désert, toujours aux aguets, à deux mille kilomètres au Nord, avance au rythme de 45 kilomètres par an sur un front de 3 400 kilomètres ! » . La forêt est un magasin génétique, or la transgabonaise qui reliera Libreville aux mines d'uranium et de manganèse doit abattre cette forêt. La grande forêt, mystérieuse, majestueuse, avec ses okoumés, ozigos, ebano, aiolé, ioma, apo, niové, bilinga, duka (Moravia soupire « Quels beaux noms !) a été abattue depuis longtemps ,envoyée en Europe et a cédé la place à une brousse de plus en plus épaisse, mais pas mystérieuse.

Pas de rêve possible : autant Céline a eu tort en parlant du « trou infect » de Fort-Gono,( dit Moravia) maintenant que Libreville est une des capitales les plus prospères de l'Afrique nouvelle, autant il ne sert à rien de nier le néo capitalisme qui exploite l'intérieur des terres mais le laisse sous développé.

Puis, hommage au docteur Schweitzer, musicologue, théologien, historien du christianisme, protestant, et, ouf, médecin. Moravia visite les différentes ailes, la salle ultra moderne de radiographie, le bureau du médecin. RAS.

Enfin, retour au Zimbabwe avec les chutes Victoria, : Moravia développe son intuition première : ce que Livingstone a « découvert » était bien entendu connu des africains qui appelaient les chutes « Mosi-oa-Tunya, c'est à dire fumée qui tonne » .
Pourquoi Livingstone, missionnaire, explorateur, géographe et donc exempt de visées conquérantes, a t il changé un si joli nom ?
La question mérite d'être posée, même si elle reste sans réponse, dans ce livre tellement honnête, brillant, exposant jour par jour et pays après pays la pérégrination périlleuse de Moravia.
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