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Critique de Zebra


R.N. Morris est né à Manchester en 1960. Quand il publie en 2007 « A gentle axe », ouvrage de 410 pages, traduit en français et publié en 2009 dans la collection 10/18 sous le titre de « L'âme détournée », il n'en est pas à son premier ouvrage.

L'histoire ? Durant l'hiver 1866, deux cadavres gelés sont découverts à Saint-Pétersbourg, dans le parc Petrovski : Borya, un paysan, pendu à la branche d'un arbre, et Goriantchikov, un nain gisant aux pieds du pendu, le crâne fendu d'un coup de hache, dissimulé dans une valise recouverte par la neige. S'agit-il d'un suicide dicté par le remords ou d'une mise en scène macabre ? Certains points sont troublants : Borya ne porte pas les signes habituels de la pendaison (yeux injectés de sang, bleus liés à la strangulation) et, s'il avait trucidé le nain, comment expliquer que son manteau ne porte pas de taches de sang sur le devant, et pourquoi cette trace de hache située juste sous le noeud qui retient la corde du pendu ? Porfiri Pétrovich, magistrat instructeur, commence son investigation, laquelle va progressivement mettre en lumière les côtés les plus noirs de la Russie du 19ème siècle.

L'auteur ne s'en cache pas : son livre est directement inspiré par « Crime et Châtiment » de Fédor Dostoïevski ; les événements décrits dans « L'âme détournée » se déroulent 18 mois après l'affaire Raskolnikov, affaire dans laquelle Porfiri Pétrovich avait joué un rôle crucial. A la dernière page du livre, R.N. Morris demande pardon à Dostoïevski pour cet emprunt, emprunt qu'il justifie par l'hommage qu'il rend ainsi à un « homme d'une grande humanité et d'un humour inattendu, un Chrétien ayant toujours eu foi en l'homme et dans la vie ». le lecteur pourra identifier la force de cet hommage aux détails suivants : d'abord, par l'emprunt de la personnalité de Porfiri Pétrovich, diable d'homme obstiné, doté d'une grande faculté d' observation, extrêmement vigilant, placide, perspicace, redoutable, doté de cils blonds et d'yeux gris métalliques, amenant les individus à se confesser à lui sans qu'il ait à faire usage de la force ou de la menace ; ensuite, tous ces personnages très typés (une jeune prostituée, un photographe, un prince Russe, un acteur qui disparait sans laisser de traces, un éditeur spécialisé dans la publication d'ouvrages philosophiques et érotiques) qui personnifient de grandes idées ou de grands principes intellectuels, des êtres difficiles à percer avec exactitude, contradictoires, ballotés par la vie, un rien torturés et se jouant de l'image qu'ils véhiculent, tels des espions devisant dans un salon bien fréquenté, fascinants, complexes mais fragiles ; puis, l'épisode du monastère Optina Pustyn, qui rappelle le soutien que le Père Ambroise prodigua à Dostoïevski alors que l'écrivain venait de perdre son plus jeune fils, Lyosha, mort d'une crise d'épilepsie à l'âge de 3 ans. R.N. Morris a selon toute évidence été marqué par le destin de Dostoïevski : alors que Fédor lisait à haute voix, au cours d'une réunion d'intellectuels libéraux, une lettre du critique Belinsky adressée à Gogol, un espion participant à cette réunion rapporta les faits au gouvernement, ce qui valut la peine de mort à Dostoïevski, peine heureusement commuée en déportation dans un bagne Sibérien. Dostoïevski y découvrit la vraie nature humaine, faite de fragilité et de noirceur. Concernant Porfiri Pétrovich, s'il y a emprunt, ceci ne prête pas à conséquence, et comme le disait R.N. Morris à un journaliste : « You might call it a victimless crime. The idea of raiding a classic for characters, themes and structure isn't new and isn't improper. My goal is not to be Dostoyevskian, but to be Dostoyevsky-like ». Mais l'auteur confesse avoir été également influencé par Sherlock Holmes et par Colombo. Chez le premier, il puisa la matière et les ressorts de toute enquête policière de qualité ; le lecteur pourra en juger par le suspense qui le tiendra jusqu'à la dernière page de « L'âme détournée ». Quant au second, R.N. Morris confesse ce qui suit : « I had Lieutenant Colombo in mind when I came to re-create my own Porfiry ». Et il est vrai que sous l'oeil affuté de notre ‘Colombo-bis', nous découvrons la réalité des hommes dans leurs moindres détails, y compris physiques : au 19ème siècle, on vous observait de la tête aux pieds et on trouvait une profonde signification au fait que vous ayez de petites mains ou de grandes oreilles, l'anatomie étant considérée comme un marqueur indiscutable de la destinée humaine.

R.N. Morris nous livre dans « L'âme détournée » un entrelacs de vices et de noirceurs, une fiction d'un autre siècle, une histoire horrible et macabre, bien ficelée, pas trop compliquée, sans fausses notes, sans caricatures (les fonctionnaires en prennent toutefois pour leur grade) , avec un rien de psychologie et force détails, un roman efficace, riche et fascinant qui, par certains côtés vous rappellera peut-être les écrits de Charles Dickens. Je mets cinq étoiles, et je recommande à tout lecteur sachant « apprécier un bon meurtre ».
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