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Critique de colka


Beloved est un roman à la fois d'une incroyable dureté et d'une beauté fascinante par l'humanité et la poésie qui s'en dégage. Aucun voyeurisme, aucune complaisance ne viennent troubler la pureté de ce récit qui nous plonge dans l'avant et l'après "Grande Guerre", c'est-à-dire la guerre de Sécession. En refermant avec regret mais aussi soulagement ce splendide roman de Toni Morrison, je me suis demandé à quoi tenait ce miracle d'équilibre entre ce qui fascine et fait horreur. Je crois que cela tient à la plume de l'auteure et à la forme qu'elle a choisi : celle d'un conte cruel qui nous plonge dans un univers onirique et fantastique, mais aussi, avec des plongées d'un réalisme cru, dans un univers d'une noirceur absolue, celui des victimes ou des rescapés d'une guerre censée les libérer et qui s'est souvent transformée en une impitoyable chasse à l'homme pour toutes celles et ceux qui fuyant le Sud tentaient de rejoindre le camp des abolitionnistes au Nord des Etats-Unis.
C'est dans ce contexte historique que se situe l'incroyable odyssée de Sethe, qui va fuir avec ses enfants le domaine où elle était esclave pour rejoindre le domicile de sa belle-mère, Baby Sugs au Nord. Mais c'est sans compter sur les fantômes et les traumatismes de son passé qui l'accompagnent, sans compter sur "les esprits" qui rôdent autour du 124 Bluestone Road, notamment celui de Beloved, la fille ainée de Sethe qui est au coeur de la tragédie que va vivre cette dernière. Mais je n'en dirai pas plus...
Cette tourmente dans laquelle nous plongeons dès le premier chapitre n'est pas facile à suivre. Télescopage de temporalités et d'espaces différents, voix multiples : celle de Sethe, de Denver sa fille, de Paul D, son amant, et bien d'autres. Toni Morrison ne nous ménage pas... Au gré de petites phrases sibyllines, de ruptures brutales de lieux ou de temporalités, elle pique notre curiosité et nous oblige à être plus vigilant, à vivre au plus près des personnages.
Et ce qu'elle nous invite à partager est très dur. Elle procède souvent par petites touches pour évoquer l'incroyable déshumanisation à laquelle se sont livrés les esclavagistes des grands domaines du Sud. Mais elle sait aussi lorsque la réalité devient trop effroyable basculer dans le fantastique pour mettre à distance. Je lui ai su gré d'avoir donné cette tonalité à la scène où Paul D. se souvient de son séjour dans un camp de travaux forcés en Georgie. Il se dégage de ce passage une force de suggestion qu'elle n'aurait pas eu si elle avait été dépeinte constamment avec le réalisme le plus cru.
De même, il y a aussi dans le roman des instants de grâce, comme l'incroyable passage où Sethe donne naissance à sa fille Denver, du bon côté de l'Ohio, celui de la liberté. Cette scène aux accents quasiment bibliques, est fabuleuse, par la paix et l'harmonie qui s'en dégage.
Le surnaturel est donc tout au long du roman un compagnon de route que l'on retrouve régulièrement sans s'en étonner tellement il fait partie du quotidien des personnages. Et la dernière partie du récit baigne dans son ambiance, puisque, dans un huit-clos mortifère, Sethe va se faire "vampiriser" par Beloved transformée en une sorte de déesse primitive maléfique. La scène finale m'a d'ailleurs laissée pantoise à la fois par la force qui s'en dégage et le lyrisme.
On ne pouvait pas, à mes yeux, imaginer une plus belle fin...
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