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Critique de bgbg


Toni Morrison, c'est un style, une écriture, une atmosphère. C'est aussi un respect particulier du lecteur qui doit s'accrocher pour suivre ou pour le dire autrement, lire “activement“. de nombreux passages paraissent hermétiques au premier abord, nécessitant des éclaircissements qui viendront plus loin si l'on est attentif.
Jazz, qui appartient à une trilogie sur l'histoire des Afro-Américains, a une histoire, mais s'articule également autour de la généalogie de quelques personnages. Commençons par Dorcas, une très jeune fille noire, deux fois tuée, d'abord par Joe Trace son amant, puis par Violette l'épouse de celui-ci, qui a lacéré au couteau son beau visage alors qu'elle reposait dans son cercueil avant d'être inhumée. Dorcas vivait avec sa tante Alice depuis la mort de ses parents au cours d'émeutes en 1917, alors qu'eux-mêmes n'étaient pas vraiment émeutiers. Alice n'a pas pardonné le meurtre à Joe, mais ne l'a pas poursuivi en justice. Par contre, elle reçoit volontiers Violette, elles boivent le thé ensemble, discutent. Alice est quelque peu condescendante avec sa cadette.
Violette a été élevée au milieu d'une fratrie de six enfants par Rose Dear qui, mariée avec un militant pour le vote des Noirs, le plus souvent absent, a dû être submergée par la tâche. Sa mère, True Belle, d'une grande vitalité, est venue la seconder mais n'a pas empêché Rose Dear de se jeter dans un puits. Violette est restée très liée à sa grand-mère.
Joe Trace a une filiation plus complexe avec sa mère surnommée la Sauvage qui vit dans la plus grande précarité, dans la nature, dans une sorte de grotte d'accès impossible, et surtout n'a aucun empressement à reconnaître ou à communiquer avec son fils. Celui-ci en conçoit la plus grande honte.
Venons-en à l'intrigue, un meurtre.
En 1906, Joe et Violette arrivent du Sud et s'installent dans un coin du Nord-Est des États-Unis, puis à New-York. Ils se sont connus dans une plantation, et comme beaucoup de Noirs, depuis les années 1870-80, ils fuient massivement vers les villes industrielles, les métropoles, les ports, New-York - jamais nommée, appelée la Ville dans le roman.
Violette s'improvise coiffeuse à domicile et Joe est une sorte de représentant en cosmétiques, la valise toujours bourrée d'échantillons. Joe, lassé de sa vie de couple, plate et monotone, homme mûr bien de sa personne, apprécié de sa clientèle féminine, tombe un jour de 1926 sous le charme de l'insouciante et très jeune Dorcas, qui joue beaucoup avec les garçons et se délecte à papillonner. Ils vivent malgré un grand écart d'âge une forte romance, presqu'au nez de Violette. Mais les passions, ça ne finit pas toujours bien, et dans un accès de jalousie, Joe tue Dorcas. On saura beaucoup plus loin le déroulement de ce geste, dans un passage très fort. Joe se replie sur Violette qu'il aime toujours mais le jour de l'enterrement, celle-ci cherche à tuer sa rivale une seconde fois.
Dans ce roman à plusieurs voix - tous les protagonistes prennent la parole sans jamais s'annoncer, ce qui peut troubler le lecteur -, il faut à la fois se laisser bercer par le rythme et rester très attentif à suivre le fil de l'histoire. En fait, lire et relire. Les faits sont distillés au coin des phrases, rarement de façon explicite. le récit ne semble pas organisé, volontiers laconique, il affecte les dissonances, les ellipses, les décalages et les ruptures, se moque de la chronologie, vagabonde dans le temps, dans l'espace aussi, délaisse les explications de texte, les exégèses, au profit de réminiscences surgies on ne sait d'où mais qui s'éclaireront plus loin dans l'histoire.
Quoi qu'il en soit, Toni Morrison brosse un tableau saisissant de la condition noire au début du XXe siècle, des hommes et des femmes, dont elle sonde avec force l'âme et le passé, anciens esclaves revenus de captivité ou leurs descendants, et qui font à la fois l'expérience de la liberté, de la création (naissance du jazz), mais aussi du déracinement, de l'absence de repères moraux, de multiples formes d'inadaptation sociale.
Avec un style qui peut paraître déroutant mais séduit par une prose finalement charismatique, Toni Morrison livre une histoire d'amour violente et désespérée qui plonge ses racines pour chacun des protagonistes, dans un passé à la fois singulier et tourmenté.
(24 août 2018)
Lien : https://lireecrireediter.ove..
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