Il travaillait pour un personnage qui s’était apparemment promu Attaché spécial de la Ville de New York. Apparemment, car si Alphonse Rinaldo avait effectivement ses entrées à City Hall, personne n’avait la moindre idée des fonctions qu’il y exerçait ou de l’étendue de son pouvoir.
— Bonsoir Leonid, a dit une voix masculine. Sam Strange à l’appareil.
— Pourquoi vous m’appelez chez moi ?
Strange était peut-être le lieutenant d’Alphonse Rinaldo, pilier secret du système économique et social de New York, mais il n’était pas question que je laisse quiconque, même aussi puissant que lui, empiéter sur ma vie privée, ou ce qui en tenait lieu.
— Son Éminence a appelé, et c’est urgent, a expliqué Strange.
La sonnerie du téléphone a fait sursauter Katrina. J’ai interrogé du regard ses yeux gris-bleu, avec l’impression que nous échangions un savoir tacite.
— J’y vais, s’est empressée de dire Shelly, qui sortait déjà de la pièce pour attraper le combiné sans fil posé sur son socle dans le couloir.
Katrina m’a souri. Rien que cela m’étonnait aussi. Il y avait presque un an qu’elle était revenue, et depuis, elle n’avait plus que des sourires contrits, hésitants. Elle voulait me faire savoir qu’elle était là pour rester, qu’elle regrettait d’avoir transgressé, voulait que notre vie commune se passe bien. Mais ce soir, son sourire était confiant. Elle était sûre d’elle et royale jusque dans sa façon de se tenir.
— C’est pour toi, papa.
Un mauvais pressentiment me taraudait ; une idée sur le point d’éclore à la conscience, tel un papillon de nuit qui vibre à l’intérieur de son cocon pour l’obliger à s’ouvrir.
Nous avions beau, depuis longtemps, dériver loin l’un de l’autre à la manière des continents, Katrina était toujours capable de me percer à jour. Il existait entre nous une sorte de connexion souterraine qui lui permettait de saisir, en partie au moins, quel était mon état d’esprit. Qu’Aura décide de passer à autre chose me pesait, mais il y avait plus : ma vie, à cette table, et la colère inhabituelle de Dimitri à l’égard de son frère, et ces fleurs délicates disposées là où je n’avais jamais vu de bouquet jusqu’alors.
dans mon esprit, le mariage était la peine que je méritais de purger
pour tout le tort que j'avais causé au cours de ma longue carrière criminelle.