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Critique de vibrelivre


.Arpenter la nuit
Leila Mottley
roman
traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Pauline Loquin
Albin Michel, 2022, 397p


L'autrice a 19 ans. le roman, son premier, est puissant, ambitieux, profond, émouvant. Il est superbement écrit, alternant des chapitres très sombres et d'autres placés sous le signedu rêve, ou de l'espoir, nimbés de poésie.
L'histoire s'inspire d'un fait divers qui a particulièrement marqué l'adolescente Leila : celle d'une jeune fille noire qui subit des sévices sexuels de la part des forces de l'ordre d'Oakland, Californie.
Ce roman n'a pas pour seul but de raconter une histoire mais il veut aussi faire réfléchir sur la condition de la fille noire aujourd'hui, ce qu'il advient d'elle quand elle devient pubère et qu'en plus elle est pauvre, dans quels schémas elle est élevée ; de montrer le système judiciaire des Etats-Unis.
Celle qui prend en charge le récit, à la première personne, c'est Kiara, 17 ans, une adolescente noire, qui ne demande qu'à vivre, aimer et être aimée. Cependant elle doit assurer toutes les dépenses, les loyers d'abord, le sien et celui de sa voisine, une droguée qui délaisse son petit garçon, et la nourriture ensuite. Son frère qu'elle adore ne l'aide pas, qui se lance comme un désespéré dans le rap, et sa mère est dans un centre de réinsertion.
Un soir, elle rencontre un type qui la désire ; aux trois quarts ivre, elle cède à sa demande de sexe, qu'il remplit sans violence et qu'il paie très largement. Serait-ce la solution ? Très vite, elle connaît les banquettes arrière des voitures, les coups, la peur d'être surprise par la police, elle n'est pas toujours payée ou l'est mal.
Un homme la colle contre un mur et la viole. Des agents de police les surprennent, laissent partir l'homme et se gardent la jeune fille, puis l'engagent avec de fausses promesses dans leurs fêtes de sexe. Ce sont « les jeux de flics pour se sentir grands ».Les agents de police ne sont que des matricules ; elle, n'a pas de nom, ni de visage, ils ne la regardent pas ou la fixent comme des hallucinés. Elle est dépersonnalisée. Elle pensait que le sexe, c'était le sexe, le corps s'en remettrait. Mais non, c'est la peur, et les shots d'alcool qui l'amoindrissent un peu, les bleus, les cicatrices, la honte et l'irrépressible envie de fuir. Et surtout, le sexe « enlève cette partie qui méritait le plus d'être conservée : l'enfant qu'on garde à l'intérieur ».
Un accident arrive, ce qui provoque un grand jury. L'avocate, blanche et riche -peut-elle se mettre dans la peau des jeunes filles noires ? Je crois que oui- dit qu' »il faut leur faire comprendre qu'ils ne peuvent pas continuer leurs saloperies sans en subir les conséquences ». Kiara est dans le fauteuil orange qui lui « fait penser à un nuage », elle a « l'impression d'être installée dans le duvet d'un pissenlit. »
A côté de cette vie de laquelle elle ne peut s'échapper, encore que Kiara ait la faculté de s'accrocher à des signes dans ses moments de dépossession, il y a les retrouvailles avec son frère , moment magique, l'amitié et un peu plus de son amie Alé, l'affection de Trevor qui doit se contenter le jour de ses neuf ans d' un sac à dos sans le fameux logo, sa mère qui lui masse la mâchoire pour qu'elle lâche son cri, le ciel infiniment bleu d'Oakland dans lequel se plonger et se noyer dans les étoiles.
Kiara a un regard, un extraordinaire regard qui enregistre tout, détaille ; elle n'est pas dans le jugement. La lectrice est pleine d'empathie pour elle. Ce roman, c'est comme la piscine à crottes qui se trouve devant l'appartement de Kiara, et dans laquelle elle et Trevor se baignent et se ressourcent et mettent l'univers sur pause : un moment à eux. Il y a les crottes, tout ce milieu sordide dans lequel la lectrice entre, et la piscine, avec le souffle de la baie de San Francisco, qui offre une lustration, celle de prendre connaissance de l'existence de ces jeunes filles noires, par l'intermédiaire d'une écriture moderne, qui cogne, et qui soulage les chocs par des bonheurs poétiques.
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