AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de melina1965


Le dramaturge et romancier libanais Wajdi Mouawad retourne les mots pour révéler la renaissance de son héros.

C'est l'histoire d'une colère. Celle que pique Walid, un jeune homme d'origine libanaise, lorsqu'il est réveillé à quatre heures du matin, en pleine tempête de neige, par la sonnerie du téléphone.
Il décroche, on lui dit :
- Walid ?
- Oui.
- Viens vite.
Il raccroche et sort de chez lui pour aller à l'hôpital où sa mère est malade.
Au cours de ce trajet hivernal il est aux prises avec des pensées qui le bouleversent.
Il ressent presque un soulagement à l'idée que sa mère va peut-être mourir et il a le sentiment qu'à partir de ce moment, il va vraiment grandir et vivre.
Mais il y a comme un vacarme au fond de son âme qui provoque en lui une peine immense. Il parle seul et tout haut. Il doit dire des mots, beaucoup de mots qui deviennent le théâtre de sa pensée et de cette peine qu'il est en train de vivre.

Ce court texte décrit simultanément le voyage de Wahab et le processus mental, les méandres, les chemins tortueux qu'emprunte sa raison pour pallier, devine-t-on de prime abord, l'affleurement de son inévitable et abyssale douleur à venir. Il ne s'agit pas de chaos proprement dit, mais, pour reprendre un terme de physique, d'une tentative de mise en gravitation face au tumulte de la vie.

Ce récit, une adaptation pour le théâtre du premier roman de l'auteur, « Visage retrouvé », porte une puissance singulière qui lui confère un caractère inattendu. Ainsi, Wajdi Mouawad mène cette histoire à forte connotation biographique, vers une issue d'apaisement possible même si l'auteur fait progresser son récit vers une inévitable collision où les mots aux formes régressives ne font plus que désigner le langage obscène du corps face à l'insondable.

Dans un langage souvent heurté, parfois violent, en arabe, en québécois et en français, il crache, déverse ses litanies sur le monde et le genre humain en particulier."Cette torsion du langage dans les trois langues", « maternelle, adolescente et celle de maintenant" traduit l'intensité de la peur qui taraude Wahab. le silence surtout, face aux morts de la guerre civile au Liban qui le hantent et face à sa mère mourante. Des mots jaillissent comme autant de cris, de courtes phrases affluent et se télescopent pour faire place à un passé trop longtemps refoulé. La mémoire est libérée, les loups sont lâchés. En quelques heures de temps, le jeune homme fait un retour complet sur lui-même, sans échappatoire possible. La mort guette. Wahab se débat entre cauchemars éveillés, fantasmes et réalité. "Je regarde le ventre de ma mère, son ventre qui s'étire et se détend pour les toutes dernières fois de sa courte existence. (...) Il n'y a pas si longtemps j'y étais (...) et parce que j'ai connu ses entrailles, pour un instant, je deviens frère de l'agonie."
Le fils au chevet de sa mère, scrute, détaille le comportement de sa famille présente, ne se privant pas de la juger à l'emporte-pièce, sa tante surtout. L'effet loupe du regard du jeune héros sur le monde qui l'entoure amplifie la portée des mots en forçant le trait grossier, incisif ou encore terrifiant. Car Wahab a ses démons réels ou virtuels et il redoute de les affronter.

Il revoit très précisément l'attentat auquel il a assisté, enfant ; il revoit son jeune copain dans l'autobus qui " flambe ", la dislocation des corps et aussi, une inquiétante femme aux membres de bois qui lui est apparue à ce moment-là, représentant la mort le menaçant de venir le chercher aussi un jour prochain et qui le hante encore. Même le visage de sa mère lui apparaît changé. Wahab ne le reconnaît plus.

Si l'histoire tourne autour de la question de la mort d'une mère, c'est comme toujours chez Wajdi Mouawad avec la simplicité poétique des histoires que s'inventent les enfants pour s'affranchir des grands questionnements de la vie. Entre rêve et réalité, souvenir et fiction, les mots cicatrisent les maux de l'enfance et de l'adolescence et abordent côté sensible le mystère de la relation mère / fils.
Commenter  J’apprécie          81



Ont apprécié cette critique (1)voir plus




{* *}