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Critique de Ingannmic


La ville du point de vue de ceux qui la construisent, au sens le plus concret du terme.
En une narration sur trois plans qui se recoupent et se prolongent, Michel Moutot nous emmène d'une réserve québécoise de la fin du XIXème au New York du début des années 70 ou 2000.

New York, septembre 2001. Dans le chaos des tours jumelles effondrées. Les émanations toxiques de poussière, de fumées, d'amiante et de peintures de plomb, du gaz fréon des climatisations géantes, du kérosène des avions, baignent l'inimaginable volume de gravats.

Ils ont accouru là par dizaines, dès qu'ils ont eu vent de la catastrophe, munis de leurs outils et leurs chalumeaux puisque c'est à eux de mettre en terre les Twin towers. Car si depuis plus d'un siècle les ironworkers édifient ponts et gratte-ciel, construisant l'Amérique, ce sont eux aussi qui les démontent, les découpent. Beaucoup sont des indiens mohawks, canadiens ou américains descendus de leurs réserves près de Montréal ou sur la frontière avec les Etats-Unis. New York est monté à l'assaut du ciel grâce à la sueur et au sang de leurs pères. Celui de John LaLiberté y a même laissé la vie, et certains de ses oncles, comme des dizaines d'autres mohawks, ont passé des années sur le plus grand et le plus beau chantier des années 70. C'est pourquoi il considère, comme nombre de ses pairs, que le World Trade Center est un peu à lui.

Immergés dans ce cauchemar, ce mikado géant dont les baguettes sont des poutres de plusieurs John et ses camarades passent des heures chaque jour, à découper l'acier, à dégager des passages pour les pompiers, sans savoir -et c'est frustrant- si ces derniers y trouveront d'abord des survivants, puis des cadavres. Ils sont exténués, déshydratés, asphyxiés mais rechignent à s'arrêter ; beaucoup n'adoptent pas des règles élémentaires de sécurité (comme le port d'un masque) qui compliquent leur compliquent la tâche. C'est une aventure épuisante, effrayante, dangereuse, mais qui les fait aussi se sentir indispensables, investis d'une mission patriotique, sacrée, presque divine. Et en effet, sans ces héros anonymes, les pompiers n'auraient pu secourir.

Un bond d'un siècle en arrière et de quelques 600 kilomètres vers le nord nous amène à Kahnawake, Canada, 1886, à la rencontre des ancêtres de John. La réputation de bâtisseur des mohawks est alors déjà établie : d'aussi loin qu'on s'en souvienne, ces membres d'une des Six Nations iroquoises ont aimé construire, charpenter le bois, mais pas seulement : depuis le début de la colonisation et du commerce des fourrures, ils sont reconnus pour être des pagayeurs et des guides à l'habileté sans égale dans le Nouveau Monde. Ce sont ainsi les seuls à savoir dompter les remous de la rivière Lachine que doivent affronter sur les gigantesques radeaux que constituent les billes de bois assemblées à des milliers de kilomètres en amont sur les rives du lac Ontario et que l'on descend par voie navigable jusqu'à Montréal. Angus Rochelle, 46 ans, est l'un de ces "rois des rapides", et son fils Manish est bien parti pour lui succéder. En attendant, il est embauché à la construction du nouveau pont qui, sur le Saint-Laurent, nécessite -contre dédommagement à la tribu- d'empiéter sur les terres de la Réserve.

Retour à New York, cette fois en 1968 avec, comme un pendant au récit sur John, celui de la construction du WTC où officie son père Jack LaLiberté, dit Tool. Son grand-père a en son temps participé à la construction de l'empire State Building, et il était hors de question que ce nouveau grand projet new-yorkais se fasse sans lui. Sa famille, qui ne pourrait pas vivre en ville, reste à Kahnawake pendant qu'il travaille sur Manhattan, ne rentrant qu'une semaine sur deux. Les terres iroquoises chevauchant la frontière entre le Canada et les Etats-Unis, un traité prévoit que les membres de cette nation le droit de passer d'un pays à l'autre à leur guise, et de travailler où ils veulent. Ils ont gagné leur place dans ce Nouveau monde par leur travail, leur sueur et leur courage, puisqu'il était impossible de vaincre l'envahisseur. Sur le chantier, il côtoie les Newfies, descendants des colons irlandais de Terre-Neuve, haut du panier des ironworkers de New York depuis quatre générations, les Jersey Boys de l'état voisin et leur look de mauvais garçons, les costauds de Nouvelle-Angleterre, et quelques autres venus du sud. Tous sont heureux de travailler au grand air, au-dessus de la foule, fiers de bâtir et d'être bien payés.

Le thème du roman de Michel Moutot est passionnant, et la narration en alternance sur trois époques le rythme agréablement. J'ignorais tout de ces Mohawks dont la légende veut qu'ils n'aient pas le vertige (un mythe en réalité, qu'ils se plaisent à entretenir, même si certains doivent parfois le faire à l'aide de lampées d'alcool avant d'affronter les hauteurs). L'empreinte journalistique de Michel Moutot se révèle par son sens des anecdotes aussi étonnantes qu'instructives, qui parsèment son intrigue. J'ai entre autres retenu le triste sort des oiseaux migrateurs se fracassant sur le World Trade Center en construction, car il n'est pas éclairé la nuit, dont on ramasse et jette les cadavres dans des sacs poubelle avant l'ouverture du chantier, ou l'épique sauvetage des 860 tonnes d'or constituant la réserve de change de la banque Nova Scotia de Toronto, enfouis sous les décombres du WTC.

Le revers de la médaille, c'est que son texte manque parfois de la force émotionnelle que l'on attend d'une fiction, le ton s'apparentant davantage à celui d'un documentaire qu'à celui d'un roman.

A lire tout de même, pour la dimension instructive.
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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