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Critique de Charybde2


En voyage touristique organisé à Istanbul, le commissaire Kostas Charitos est contraint à l'action par une série de meurtres liés à l'exode grec de 1955, cinquante ans plus tôt.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/03/03/note-de-lecture-lempoisonneuse-distanbul-petros-markaris/

Pour des raisons familiales qui s'éclaireront le moment venu (et qui – rassurons d'emblée les lectrices et lecteurs inquiets – trouveront une issue relativement favorable dans les épisodes suivants de la saga Kostas Charitos, le commissaire et son épouse Adriani sont en voyage organisé à Istanbul. Parcours de visites « classique », teinté éventuellement de la nostalgie et du ressentiment dont beaucoup de Grecs originaires de la cité, qu'ils ont parfois dû, eux-mêmes ou leurs parents et grands-parents, quitter précipitamment après les « événements » de 1955, et parcouru occasionnellement des clivages politiques, entre touristes grecs, qui parcourent toujours leur pays en ces années 2000, bien après la guerre civile et la dictature des colonels. Les vacances légèrement fiévreuses du commissaire vont toutefois prendre un tour bien différent, et l'obliger à certaines acrobaties diplomatiques aventureuses avec la police turque, lorsqu'une série de meurtres au moyen d'un poison particulier se mettent tout à coup à toucher, sur place, diverses personnes liées, visiblement de près ou même en apparence de beaucoup plus loin, à l'exode des Grecs locaux après 1955.

Publiée en 2008, traduite en français en 2010 par Caroline Nicolas pour Seuil Policiers, « L'empoisonneuse d'Istanbul » est la cinquième enquête conduite par le commissaire Kostas Charitos de Petros Markaris. Se déroulant quelques semaines avant le début de la « Trilogie de la crise », avec « Liquidations à la Grecque », elle est la dernière pour un bon moment à ne pas être en prise avec l'actualité immédiate (fût-elle par moments légèrement science-fictive) de la Grèce. Enquête plus « intemporelle », donc, même si elle est comme de coutume chez l'auteur férocement reliée à l'histoire du pays, j'ai préféré vous en parler, une fois n'est pas coutume, après les péripéties criminelles engagées au coeur de l'effondrement financier des années 2010.

Histoire de vengeance improbable qui nous permet de parcourir, à hauteur d'homme et de femme, l'une des facettes de l'animosité séculaire entre Grecs et Turcs, elle nous plonge dans un curieux climat, largement inconnu des lectrices et lecteurs de par chez nous, celui de la nostalgie éventuellement vindicative liée au pogrom d'Istanbul de 1955, qui déclencha l'émigration massive de la grande majorité des 135 000 Grecs de la ville à l'époque. En effet, si la « Grande Catastrophe » liée à la fin de la guerre gréco-turque de 1922 et au traité de Lausanne de 1923 et au chaotique « échange de populations » (on ne parlait pas encore à l'époque d'épuration ethnique) avait vu le chassé-croisé d'un million et demi de chrétiens chassés d'Asie et de 500 000 musulmans repoussés hors d'Europe, les communautés orthodoxes d'Istanbul n'avaient, par dérogation (et certainement un peu parce que les Alliés occupaient la ville depuis la fin de la première guerre mondiale…), pas été concernées par ce règlement ô combien douteux. C'est trente ans plus tard que l'émigration « forcée » prit place, avec son lot de crimes et de spoliations, et sa cohorte de profiteurs d'aubaines économiques « à saisir », qui fournissent la toile de fond de cette enquête prenant place encore cinquante ans plus tard. On notera d'ailleurs à quel point Petros Markaris est habile dans la pratique d'un décentrage largement ironique vis-à-vis de ses compatriotes, et comment il évite avec art de souffler sur les braises gréco-turques, en soulignant les comportements loin d'être angéliques de certains Grecs nantis vis-à-vis de moins chanceux qu'eux – et la rapacité largement partagée des deux côtés du Bosphore. La fibre sociale rusée et ambiguë qui parcourt les travaux de l'auteur prend ainsi, ici, un tour parfois joliment inattendu.

Lien : https://charybde2.wordpress...
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