Les Artistes Célèbres : Donatello

Nous ne pousserons pas l'irrévérence jusqu'à prononcer le mot de plagiat. Un Michel-Ange est au-dessus de pareilles imputations. Semblable à ses contemporains, et surtout à Raphaël, pour lequel, en pareille circonstance, il se montra particulièrement dur, il prenait son bien où il le trouvait, sauf à y mettre l'empreinte de son génie, la griffe du lion. Mais la critique manquerait à tous ses devoirs en ne revendiquant pas les droits de Donatello et en ne proclamant pas en sa faveur la priorité de l'invention.

En résumé, à partir de 1420, l'artiste, qui ne comptait encore qu'une trentaine d'années, eut la satisfaction de voir des cités étrangères se disputer son ciseau. Quant à ses compatriotes, s'ils ne le couvraient pas d'or, du moins ne lui ménageaient-ils pas les témoignages de leur estime.

Donato ou Donatello naquit à Florence ou dans les environs, entre les années 1382 et 1387, selon toute vraisemblance en 1386. Son père, Niccolô di Betto Bardi, était cardeur de laine; il s'occupait par-dessus le marché de politique et il apportait dans ces luttes toute l'ardeur d'un Italien du XIVe siècle. Exilé de Florence à la suite de la révolte des « Ciompi », il se réfugia à Pise, en compagnie de son ami Buonaccorso di Luca Pitti, qui nous a conservé le récit de ses prouesses.

De tous les arts, la sculpture en ronde bosse, réduite le plus souvent à un ou deux personnages, est celui qui suppose, soit le plus de foi (dans ce cas la statue devient comme une idole), soit le plus de désintéressement esthétique. Or, l'Italie du XIIIe et du XIV° siècle avait l'esprit trop curieux et trop inquiet pour se contenter de créations aussi abstraites.

La renaissance des arts dans la haute Italie a été provoquée parles étincelles qui ont jailli de ce cerveau toujours incandescent. Sans Donatello, le plus grand des artistes padouans, Andrea Mantegna, aurait longtemps pu chercher sa voie; quant aux Vellano, aux Riccio, et à tant d'autres, jamais sans lui, on peut l'affirmer, ils n'auraient trouvé la leur.

Les témoignages d'admiration prodigués par les Padouans auraient grisé tout autre artiste. Donatello n'y vit qu'un obstacle à ses progrès. « Si je continue à rester ici, avait-il coutume de dire, leurs éloges me feront oublier tout ce que je sais; à Florence, au contraire, les critiques incessantes de mes compatriotes me forcent constamment à tenter de nouveaux efforts et, partant, me procurent une gloire nouvelle. »

Parmi les ouvrages exécutés pour la cathédrale, il faut encore citer les deux bustes de prophètes, du portail Nord (1422), et la belle statue de prophète, connue sous le nom de statue du Pogge. Cette dernière, d'après les recherches de M. Bode, semble dater, non des dernières années de Donatello, mais de la période comprise entre 1415 et 1425 ; elle ne représenterait donc pas, si cette hypothèse était acceptée, le fameux humaniste florentin. Quoi qu'il en soit, l'oeuvre compte parmi les plus parfaites qu'ait enfantées le ciseau de Donatello.

Cette exubérance de la vie nerveuse, qui fait le fond de l'art d'un Michel-Ange, d'un Benvenuto Cellini, d'un Jean Bologne, d'un Germain Pilon, d'un Puget, de nos grands sculpteurs français du XVIII° siècle, ou encore d'un Carpeaux, c'est Donatello qui l'a fait pénétrer dans la sculpture. A lui l'honneur, comme la responsabilité, d'une révolution dont les conséquences se feront sentir longtemps encore.

Le plus modeste, le plus désintéressé, et le plus dévoué des hommes, — comme artiste, le novateur le plus fougueux, le génie primesautier, libre et fier par excellence, tel a été le maître dont nous nous proposons de raconter la vie et d'apprécier l'oeuvre. « Le grand Donatello et le merveilleux Michel-Ange, les deux plus grands hommes qui aient existé depuis l'antiquité jusqu'à nos jours », c'est en ces termes qu'un sculpteur justement fameux, Benvenuto Cellini, célébrait devant le grand-duc de Florence la gloire de son illustre devancier.

Examinons à leur tour les prophètes de Donatello ! Dans la fameuse statue de David, l'artiste du XVe siècle a pris pour modèle le plus laid des citoyens de Florence, un certain Giovanni di Barduccio Cherichini, remarquable par sa calvitie (de là le surnom de Zuccone, donné à la statue) et par sa mine patibulaire. C est un type destiné à se graver à jamais dans la mémoire. Le spectateur est partagé entre l'horreur que lui inspirent ces traits repoussants, cette peau presque glabre, qui semble avoir été échaudée, ces lèvres visqueuses, et les prodiges de l'exécution, cette face criante de vérité, ces bras modelés avec une incomparable sûreté, ce manteau dont les plis forment des masses aussi larges que souples, comme plus tard chez Michel Ange, enfin l'étrangeté de cette figure qui est comme une gageure.