Pour bien se rendre compte de la révolution opérée par ce novateur audacieux entre tous, il importe de placer en regard des statues de Donatello les statues que ses prédécesseurs du XIVe siècle ont sculptées pour le même Campanile. Prenons la Sibilla Tibertina. Quelle noblesse dans ses traits encore impersonnels, dans le geste par lequel elle montre le parchemin déplié qui contient ses prophéties, quelle sévérité dans ses draperies! Avec un peu plus de souplesse, elle serait digne de prendre place à côté des déesses de l'antiquité, dont elle semble d'ailleurs inspirée.
En thèse générale, Donatello, malgré son inexpérience en matière d'affaires, semble s'être entendu, comme pas un, à organiser et à diriger une vraie armée de collaborateurs. Son atelier, pendant son séjour à Padoue, comprenait une vingtaine de « garzoni », de compagnons.
En même temps qu'il modelait et fondait sa statue équestre, Donatello recevait de l'administration du Santo (l'église Saint-Antoine de Padoue) une commande d'une rare importance : on le chargea de couler en bronze une dizaine de statues et une vingtaine de bas-reliefs. C'est l'ensemble le plus considérable, à coup sûr, que le XVe siècle ait produit.
Depuis les travaux, à jamais mémorables,de Giotto, dans la Madonna dell' Arena de Padoue, jusqu'à l'établissement de Léonard de Vinci à Milan, aucun événement n'a exercé une influence aussi considérable sur la marche de l'art dans la haute Italie que l'apparition de Donatello. Ainsi, à trois reprises différentes, il fut réservé à des Florentins de donner, dans ces régions lointaines, le signal de la Renaissance. Est-il rien qui prouve plus clairement que les aptitudes les plus brillantes et les traditions les plus vénérables ne sont rien, lorsque les leçons de génies supérieurs ne viennent pas féconder ces germes?
Les soins que Donatello a donnés au développement du « stiacciato » (mot, à mot gâteau aplati, fouace) méritent une mention toute particulière; il peut en être considéré comme l'inventeur. Le « stiacciato », d'après l'excellente définition de M. Perkins, est un genre de relief faisant à peine saillie, et qui, procédant par des gradations presque insensibles, semble plutôt dessiné sur le marbre que sculpté. M. Perkins ajoute que, par là, Donatello a rouvert la voie à l'art du médailleur, si longtemps perdu : il a préparé l'avènement du rénovateur de cet art, le Pisanello, le premier en date et le plus complet des médailleurs de la Renaissance.— Que de germes semés à pleines mains dans toutes les directions !
Si le jeune Donatello hérita de quelques traits du caractère de son père, ce ne fut assurément pas de son amour pour la politique; jamais artiste ne montra autant d'éloignement pour toute discussion étrangère à son art. Mais dans son oeuvre si mouvementé et si fiévreux ne semble-t-il pas qu'il y ait du sang de révolutionnaire?