- Je ne peux pas faire couper la tête à tous ceux qui chantent cette chanson, mon bourreau serait débordé.
- En effet, approuvèrent les ministres, soulagés.
- J'ai donc trouvé une meilleure idée. J'ai décidé d'interdire la lettre V. [...]. Quiconque prononcera un mot contenant la lettre V paiera cinquante sous d'amende, et un franc si le mot contient deux V. [...].
Tous les ministres en restèrent bouche bée.
- Mais, Votre Majesté...bredouilla le grand chambellan.
- Cinquante sous, dit le grand-duc en tendant la main.
- Mais...Ta Majesté, se reprit le grand chambellan, il sera très difficile d'interdire à tous tes sujets de prononcer la lettre...heu, la lettre, enfin, la lettre en question.
Un ministre osa ajouter :
- Et nous ne pourrons pas la supprimer de tous les li... bouquins.
- Il le faudra pourtant, conclut Nikolaï, car telle est ma...
Une seule lettre vous manque et tout est perturbé.
- Vite, vole, va, je veux, je l'avoue, vivre ma vie, et vroum et vroum... Ah, ça fait du bien !
Le jeune Vladimir, responsable de la disparition du V, était bien ennuyé. D'abord, il ne s'appelait plus que Ladimir, ce qui était ridicule. Puis, il ne pourrait plus être écrivain, le métier ayant disparu du dictionnaire. Il se contentait d'être homme de lettre, et encore, il lui en manquait une.
Pendant ce temps, au palais grand-ducal, le petit duc, qu'on appelait Ian, allait sur ses neuf ans. Il était entouré de domestiques terrorisés à l'idée de prononcer un V puisque, dans ce cas, les agents spéciaux étaient au regret de leur couper la langue. Le précepteur du petit duc, monsieur Grog, passait son temps à lui faire apprendre des synonymes pour remplacer les mots défendus. Ainsi, Ian, qui ignorait l'existence du vent, connaissait la brise et la bise, le zéphyr et la tramontane.
Il ne parlait jamais de ses cheveux blonds, mais de sa toison d'or.
– Je ne peux pas faire couper la tête à tous ceux qui chantent cette chanson, mon bourreau serait débordé.